TRADITION ET ISLAM

TRADITION ET ISLAM

1. La valeur de l’islam. Dans le monde d’aujourd’hui, l’islam est la religion mondiale qui résiste le plus activement à la force du mondialisme. Cela rend le facteur islamique extrêmement important pour le front du traditionalisme. Dans cette guerre avec l’islam, les Etats-Unis et l’idéologue de la Fin de l’Histoire Francis Fukuyama ont même tenté d’introduire le terme d’« islamofascisme » pour mieux discréditer la foi. En tant qu’empire, les Etats-Unis tendent à désigner l’islam comme nouvel ennemi numéro un. C’est maintenant presque une position US officielle, alors qu’avec Bush elle était simplement formelle. Et par conséquent l’islam devrait être traité comme un champ de bataille prioritaire contre l’impérialisme US, le monde moderne et postmoderne et la mondialisation. Cela détermine la valeur et l’importance de l’islam.

2. L’islam est divers. Considérer l’islam comme quelque chose d’unifié et de cohérent, comme quelque chose d’homogène, est une illusion ou un « concept vide ». Ce concept se rencontre dans trois cas : dans les masses ignorantes (qui se trompent presque toujours, puisque la platitude est incompatible avec la vérité), dans la propagande des centres mondiaux du pouvoir (qui l’utilisent à des fins politiques spécifiques), dans la bouche des soi-disant théoriciens du « Pur Islam » (salafistes, wahhabites, etc.) parfois appelés conventionnellement « fondamentalisme islamique », « intégrisme ». Les deux premiers cas sont clairs. Le troisième cas est une innovation perfectionnée tentant de prendre la place de l’islam existant (l’islam traditionnel) comme confession religieuse, sous l’apparence d’un « retour aux racines ». Quelque chose de similaire est fait par les protestants, proposant de revenir au « vrai » christianisme d’origine mais créant quelque chose d’entièrement nouveau qui a peu de rapport avec le christianisme. Le « Pur Islam » est proche de cela.

3. Nous devons analyser l’islam en-dehors des « mythes », tel qu’il est, dans sa diversité. Cela devrait mettre en lumière les aspects théologiques, historiques, géopolitiques, ethniques de chacune de ses écoles. C’est une tâche gigantesque, sans laquelle nous ne pouvons pas sérieusement parler de l’islam. La principale ligne de séparation se trouve entre les sunnites et les chiites.

4. Les chiites. Il est clair que la minorité chiite est une question complètement séparée – métaphysiquement, et géopolitiquement et ethniquement. En général, le chiisme (et toutes les branches duodénaires et septénaires hétérodoxes, et spécialement le soufisme Ishraq et iranien), est très similaire au traditionalisme. Il n’a pas de dimension universaliste et permet de vastes différences. Particulièrement importante est sa direction messianique (le Mahdi), parce que de cette manière il est plus facile de trouver un terrain d’entente avec la compréhension traditionaliste de la nature du monde moderne et postmoderne comme étant la « découverte de l’Œuf Cosmique » depuis l’extérieur et comme une « grande parodie ».

5. Les Sunnites : islam traditionnel et salafisme. La majorité sunnite peut être divisée par plusieurs facteurs : autoriser le soufisme et ne pas autoriser le wahhabisme (dans le style du véritable wahhabisme hanbalite).

6. At-tassavuf. Ces écoles sunnites qui sont tolérantes avec l’ésotérisme et qui ont donc une dimension où bâtir un rapport avec l’approche traditionaliste. Le monde du soufisme lui-même est très vaste. Beaucoup de tarîqa se querellent entre elles. Certaines finiront par faire du prosélytisme et rejoindre le New Age. D’autres sont fermées et deviennent presque des sectes ethniques folkloriques. Les plus intéressantes sont celles qui suivent l’at-tassavuf, qui sont enracinées dans ses traditions, orthodoxes, mais qui ont une attitude ouverte sur la réalité du monde moderne, dans ses aspects sociologiques, géopolitiques, axiologiques et économiques. Elles sont peu nombreuses, mais extrêmement importantes. L’environnement d’at-tassavufa est assez vaste. Un texte d’orientation serait manifestement nécessaire, soulignant les valeurs radicales et l’incompatibilité des tarîqa avec la modernité et la postmodernité, et décrivant aussi la stratégie comportementale générale (sans entrer dans les détails) d’un soufi à la « fin du monde ». Les conditions préalables pour cela sont nombreuses. Mais cette somme ou son auteur sont absents. Mais ils devraient finir par apparaître.

7. L’islam traditionnel dans son ensemble. Il n’y a pas de guide intellectuel pour les « derniers jours » dans le contexte de l’islam traditionnel habituel. C’est compréhensible, puisqu’il ne présente pas d’unité conceptuelle. L’islam traditionnel est présent, il représente l’immense majorité des musulmans modernes, mais il n’y a pas de guidance eschatologique généralisante pour l’oummah mondiale. Tout ce qu’on trouve après le test initial, c’est une secte : le salafisme. Ce n’est pas surprenant : l’eschatologie se concentre dans les sectes, et les salafistes, en général, tentent d’être l’oummah. Et pourtant le sentiment eschatologique, antimondialiste, antiaméricain, antimoderne et anti-postmoderne est extrêmement développé parmi les musulmans. Il serait désirable de voir apparaître une publication par cahiers qui pourrait être [intitulée] « Islam Traditionnel », et qui servirait de plateforme pour présenter les positions des variétés particulières des communautés islamiques.

8. Le salafisme et le projet salafiste mondial. Le salafisme, le Pur Islam sont à l’avant du combat politique dans le secteur musulman du monde moderne. C’est un fait et cela ne peut pas être nié. C’est là que nous rencontrons la stratégie la plus claire et la plus simple, la pensée globale, des buts bien définis : l’établissement de l’Etat islamique mondial, l’imposition de la Charia, l’organisation de la société d’après des principes islamiques à une échelle mondiale, la doctrine de la « maison de la guerre » (dar al-harb) partout où il n’y a pas de « maison de l’islam » (Dar ul-Islam), etc. Il est évident que dans ce programme il y a des choses acceptables et d’autres inacceptables pour le Traditionalisme. Acceptable est le combat contre l’ennemi commun ; inacceptable au vu de l’alternative proposée, en fait, ce « projet islamique » est plus précisément appelé le « projet salafiste ». Il est important de comprendre la métaphysique du « projet salafiste ». Sa métaphysique n’est pas neutre, elle est bâtie sur le refus de l’ésotérisme et du traditionalisme, qui sont définis ici comme le « shirk », une déviation du « Pur Islam ». Les racines de la dispute remontent aux Moutazilites et aux adversaires des philosophes et des soufis. Le « projet salafiste » est radicalement anti-chiite, anti-soufisme, et anti-traditionnel. Et ceci n’est pas un trait distinctif des salafistes individuels, mais la métaphysique obligatoire de tout ce mouvement. Cette ambiguïté se reflète géopolitiquement dans les étroites relations entre le salafisme (en particulier, Ben Laden et Al-Qaïda), Brezinski et la CIA durant la guerre d’Afghanistan, dans le fait que les Américains ont toujours des services salafistes, leur donnant la possibilité de s’ingérer dans les affaires souveraines des pays qui tentent de résister aux Etats-Unis (Irak, Libye, Syrie, plus le salafisme antirusse dans le Nord-Caucase), mais d’un autre coté ce sont aussi les salafistes que nous voyons actifs dans l’antimondialisation en attaquant les forces US. Cette ambiguïté devrait conceptualiser tours et sans cesse pour favoriser ce dialogue, pour expliquer tous les aspects du conflit. Dans la bataille globale contre le Dadjal – quel est le rôle joué par le salafisme ? Nous avons laissé cette question ouverte.

9. L’islam en Russie. Position, rôle et place de l’islam en Russie. Nous devons examiner les positions eschatologiques et traditionalistes. Pour cela nous devons appliquer sérieusement toutes les thèses précitées à la situation russe. L’islam fait partie de l’espace russe et il s’est développé au cours des siècles. Mais l’islam russe n’a pas adopté les mêmes positions qu’en Occident – la mondialisation, les Etats-Unis, le libéralisme, le postmodernisme. La position des autorités [islamiques] est évasive et peut être interprétée de différentes manières. Les forces de « Dadjal » sont faciles à deviner ici. En soutenant la faction russe mondialiste et libérale, elles tentent d’utiliser les musulmans, mais en même temps elles désignent les musulmans russes comme « migrants », « immigrants », etc. C’est une stratégie pour affaiblir l’ennemi potentiel de l’Occident. Nous devons travailler à lui opposer une alliance eschatologique des musulmans et des chrétiens orthodoxes (dans toute la Russie), contre les Etats-Unis, le libéralisme occidental et la modernisation. C’est le point de contact le plus solide avec un islam traditionnel russe ; ce n’est pas encore un fait, mais théoriquement c’est la bonne direction pour ce dialogue. Dans le domaine intellectuel, et même encore plus par les similarités néo-platoniques. Et au niveau extérieur cela nous conduit à une opposition conjointe envers l’Occident, le libéralisme et la postmodernité. Mais ici l’islam traditionnel est souvent passif et limité à des formules diplomatiques, au lieu de proposer une stratégie commune. Les aspects « modernistes » pro-occidentaux et libéraux du pouvoir russe, la corruption et la décadence de la société, des traditions et des coutumes nous font horreur à nous et aux musulmans, nous devons combattre ces aspects avec eux [= avec les musulmans], combattre côte à côte et non l’un contre l’autre. Les principaux problèmes surgissent avec le salafisme. Il joue le rôle d’« épouvantail » pour discréditer l’islam tout entier, et ses projets radicaux exacerbent le conflit entre les musulmans de tendance eschatologique et les forces de tendance similaire des autres religions ou simplement les opposants instinctifs à la mondialisation. Il y a ici un espace pour un dialogue signifiant et stimulant.

10. Résumé : islam et tradition. L’islam est directement relié à la Tradition. C’est un fait indiscutable. Et ce fait devrait être reconnu par les traditionalistes. L’islam est actif et en faveur d’une société traditionnelle. Ceci devrait être soutenu. Mais l’islam ne représente pas la Tradition à lui tout seul. La Tradition peut [aussi] être non-islamique. Si les musulmans acceptent cela, et acceptent les termes de la multipolarité, alors un dialogue actif et une coopération étroite, y compris militaire, doivent être encouragés pour s’opposer au monde postmoderne et à l’Antéchrist/Dadjal. Si nous avons affaire à une version protestante contemporaine innovatrice et engagée de l’universalisme et de l’exclusivisme, sous le masque de la défense du « pur islam », il faudra faire un effort prudent et sérieux pour défaire ce nœud géopolitique et métaphysique, pour reprendre le fil d’une manière ou d’une autre. L’islamophobie est un mal, mais le mal peut aussi être l’activité en faveur de l’« islamisation » [et] se présentant sous la bannière du « pur islam ». Chacun devrait suivre sa tradition. Si nous n’y parvenons pas, alors le blâme doit être porté sur nous, pas sur la Tradition. A un niveau purement individuel le choix est possible, mais voir des Russes se convertir en masse à l’islam me répugne, car ils cherchent le pouvoir en-dehors d’eux-mêmes et en-dehors de leur tradition, et sont donc infirmes, faibles et lâches.