Appel aux citoyens indignés de Grèce et d’Europe

Appel aux citoyens indignés de Grèce et d’Europe

Par le Comité consultatif du mouvement de citoyens indépendants créé à Athènes
25 Mai 2011 

Nous saluons les dizaines, voire les centaines de milliers de nos concitoyens, jeunes pour la plupart, qui se sont rassemblés sur les places de toutes les grandes villes de Grèce pour manifester leur indignation à l’occasion du premier anniversaire de la signature du Mémorandum, cet accord-cadre entre le gouvernement grec, l’UE, le FMI et la BCE, en mai 2010 et actualisé depuis régulièrement. Ils demandent le départ du « gouvernement de la honte » et de tout le personnel politique responsable de la gestion du bien public, et qui a détruit, pillé et asservi la Grèce. La place de tous ces individus n’est pas au Parlement, mais en prison.

Nous saluons les premières assemblées générales qui se déroulent dans les centres de nos villes, et la démocratie immédiate que s’efforce de découvrir ce mouvement inédit de notre jeunesse. Nous saluons les travailleurs de la fonction publique qui ont entrepris manifestations, grèves et occupations pour défendre un Etat qui, au lieu du démantèlement programmé par le FMI, a désespérément besoin d’une amélioration et d’une réforme radicales. Par leurs mobilisations, les travailleurs de l’Hellenic Postbank, de la Régie nationale d’électricité et de la Société publique de loterie et de paris sportifs défendent le patrimoine du peuple grec qu’entendent piller les banques étrangères par le truchement de leur gouvernement fantoche à Athènes.

Le pacifisme exemplaire de ces manifestations a démontré que, lorsque la police et les agents provocateurs ne reçoivent pas l’ordre d’intervenir, le sang ne coule pas. Nous appelons les policiers grecs à ne pas être les instruments des forces obscures qui tenteront certainement, à un moment ou à un autre, de réprimer dans le sang les jeunes et les travailleurs. Leur place, leur devoir et leur intérêt sont d’être aux côtés du peuple grec, de ses protestations et de ses revendications pacifiques, aux côtés de la Grèce et non des forces obscures qui dictent leur politique au gouvernement actuel.

Un an après le vote du Mémorandum, tout semble attester son échec. Après cette expérience, on ne peut plus s’autoriser la moindre illusion. La voie qu’a empruntée et que continue de suivre le gouvernement - sous la tutelle des banques et des instances étrangères, de Goldman Sachs et de ses agents européens - mène la Grèce à la catastrophe. Il est impératif que cela cesse immédiatement, il est impératif que tous ces gens partent immédiatement. Jour après jour, leurs pratiques révèlent leur dangerosité pour le pays.

Il est étonnant que le procureur général ne soit pas encore intervenu contre le ministre de l’économie et des finances après les récentes déclarations de ce dernier sur l’imminence de la faillite et l’absence de ressources budgétaires. Pourquoi n’est-il pas intervenu après les déclarations du président de la Fédération du patronat de l’industrie et de la commissaire européenne grecque, Mari Damanaki, sur une sortie de l’euro ? Pourquoi n’est-il pas intervenu contre le terrorisme de masse au moyen duquel un gouvernement en faillite, soumis aux diktats de la troïka UE/FMI/BCE, tente une nouvelle fois de spolier le peuple grec ? Par leur catastrophisme, leurs allusions tragiques et tout ce qu’ils inventent et déblatèrent pour effrayer les Grecs, ils ont réussi à humilier le pays dans le monde entier et à le mener réellement au bord de la faillite. Si un chef d’entreprise s’exprimait de la même façon que le font le premier ministre et ses ministres lorsqu’ils parlent de la Grèce, il se retrouverait immédiatement derrière les barreaux pour malversation grave.

Nous nous adressons aussi aux peuples européens. Notre combat n’est pas seulement celui de la Grèce, il vise à construire une Europe libre, indépendante et démocratique. Ne croyez pas vos gouvernements lorsqu’ils prétendent que votre argent sert à aider la Grèce. Ne croyez-pas les mensonges grossiers et absurdes de journaux inféodés qui veulent vous convaincre que le problème est prétendument dû à la paresse des Grecs alors que, d’après les données de l’Institut statistique européen, ceux-ci travaillent plus que tous les autres Européens !

Les travailleurs ne sont pas responsables de la crise. Elle a été provoquée et exploitée par le capitalisme financier et les politiciens à sa botte. Leurs programmes de « sauvetage » de la Grèce aident seulement les banques étrangères, celles précisément qui, par l’intermédiaire des politiciens et des gouvernements à leur solde, ont imposé le modèle politique qui a mené à la crise actuelle.

Il n’y a pas d’autre solution qu’une restructuration radicale de la dette, en Grèce, mais aussi dans toute l’Europe. Il est impensable que les banques et les détenteurs de capitaux responsables de la crise actuelle ne déboursent pas un centime pour réparer les dommages qu’ils ont causés. Il ne faut pas que les banquiers constituent la seule profession sécurisée de la planète !

Il faut remplacer l’actuel modèle économique européen, conçu pour générer des dettes, et revenir à une politique de stimulation de la demande et du développement, à un protectionnisme doté d’un contrôle drastique de la finance. Si les Etats n’imposent pas leur loi aux marchés, ces derniers les engloutiront, en même temps que la démocratie et tous les acquis de la civilisation européenne. La démocratie est née à Athènes quand Solon a annulé les dettes des pauvres envers les riches. Il ne faut pas autoriser aujourd’hui les banques à détruire la démocratie européenne, à extorquer les sommes gigantesques qu’elles ont-elles-mêmes générées sous forme de dettes. Comment peut-on désigner un ancien collaborateur de Goldman Sachs pour diriger la Banque centrale européenne ? De quelle sorte de gouvernements, de quelle sorte de politiciens disposons-nous en Europe ?

Nous ne vous demandons pas de soutenir notre combat par solidarité, ni parce que notre territoire a été le berceau de Platon et d’Aristote, de Périclès et de Protagoras, des concepts de démocratie, de liberté et d’Europe. Nous ne vous demandons pas un traitement de faveur parce que nous avons subi, en tant que pays, l’une des pires catastrophes européennes pendant les annees 1940 et nous avons lutté de facon exemplaire pour que le fascisme ne s’installe pas sur le continent.

Nous vous demandons de le faire dans votre propre intérêt. Si vous autorisez aujourd’hui le sacrifice des sociétés grecque, irlandaise, portugaise et espagnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bientôt votre tour. Vous ne prospérerez pas au milieu des ruines des sociétés européennes. Nous avons tardé de notre côté, mais nous nous sommes réveillés. Bâtissons ensemble une Europe nouvelle ; une Europe démocratique, prospère, pacifique, digne de son histoire, de ses luttes et de son esprit. Résistez au totalitarisme des marchés qui menace de démanteler l’Europe en la transformant en tiers-monde, qui monte les peuples européens les uns contre les autres, qui détruit notre continent en suscitant le retour du fascisme. 

Le Comité consultatif du mouvement de citoyens indépendants, L’Etincelle, (créé à l’initiative de Mikis Theodorakis).

 

LA CRISE GRECQUE: PREMIÈRE «BATAILLE» D’ UNE «GUERRE» POUR L’EUROPE

«Nous ne mourrons pas pour Dantzig», disaient les Français il y a soixante-dix ans. «Nous ne paierons pas pour les Grecs», disent aujourd’hui les Allemands. Et si, entre temps, la force de l’argent a remplacé, en Europe, celle des armes, cela ne l’a pas rendue moins mortelle (ni même, en fin de compte, moins autodestructive).
L’attaque dont la Grèce fait l’objet de la part de forces «géo-économiques» puissantes, à savoir celles du capital financier totalement libéré de tout contrôle, d’un Empire de l’Argent en gestation, a une importance énorme au niveau mondial qui dépasse de loin la dimension de ce petit pays. C’est la première d’une série de batailles, qui vont déterminer l’avenir des États et des pays européens, celui de l’idée d’une Europe unie, indépendante, sociale, celle de notre démocratie et de notre civilisation.
La question à laquelle on essaie de répondre, en Grèce, est de savoir qui va payer la dette cumulée de l’économie mondiale, y compris celle due au sauvetage des grandes banques, en 2008. Est-ce que ce sera la population des pays développés, au prix de la suppression des droits sociaux et démocratiques acquis durant trois siècles de lutte, autrement dit, de la civilisation européenne? Ou bien les pays tiers? Va-t-on la payer par la destruction de l’environnement? Les banques vont-elles l’emporter sur les États, ou bien ces derniers l’emporteront-ils sur les banques?
L’Europe pourra-t-elle dominer de nouveau le monstre que constitue le capital financier totalement deregle, en rétablissant une réglementation des flux de capitaux, dans le cadre d’un protectionnisme raisonnable et d’ une politique de croissance, en contribuant à la construction d’un monde multipolaire, donnant ainsi un exemple d’ordre mondial? Ou bien va-t-elle périr dans des conflits internes sans merci, en consolidant le rôle dominant, quoique vacillant aujourd’hui, des USA et demain peut-être, celui d’autres puissances, voire même de totalitarismes, au niveau mondial ou regional?

La crise grecque 
Les gouvernements européens et leur Union, qui ont dépensé des sommes colossales pour le sauvetage des banques, imposent à la Grèce de prendre de mesures qui constituent la plus grande régression dans l’histoire du pays, exceptée la période de l’occupation allemande de 1941-1944, tout en la poussant dans la plus importante récession qu’elle ait connue depuis des décennies, la privant de toute perspective de croissance pendant un temps indéterminé. Ce qui, d’ailleurs, risque de rendre impossible le remboursement de sa dette, c’est-à-dire risque de faire de la Grèce une Lehman Brothers dans la nouvelle phase de la crise mondiale commencée en 2008.
Nous sommes arrivés à un point où la Banque Centrale Européenne prête aux banques à un taux de 1%, afin que celles-ci prêtent à l’État grec au taux de 6% ou 7%. Au meme temps, les gouvernements europeens refusent de consentir a l’ edition des euro-obligations par. ex., pouvant servir a la normalisation des taux payes par l’ Etat grec.

L’Allemagne contre l’Europe
Il y a vingt ans, l’Allemagne, nouvellement réunifiée, atteignant sa pleine «majorité stratégique», «acheva», par sa première action, la Yugoslavie multinationale et fédérale, en imposant à ses partenaires la reconnaissance des différentes Républiques. Le résultat en a été tout d’abord une série de guerres qui ont semé la ruine et la mort dans les Balkans, sans résoudre pour autant aucun de leurs problèmes, puis la mort dans l’œuf de la politique étrangère et de défense de l’ UE et, enfin, le retour solennel des USA dans leur rôle de maître absolu du Sud-est européen.
Tout cela pourtant fera figure de simple délit, devant ce qui risque de se passer maintnenant, comme conséquence de la courte vue de Berlin et de la manière dogmatique, extrêmement égoïste dont elle défend les règles de Maastricht, disposée, semble-t-il, à sacrifier un ou plusieurs de ses partenaires, appartenant même au «noyau dur» de l’ UE, la zone euro, en les faisant plonger dans le désastre économique et social.
Aujourd’hui, l’enjeu de la crise «grecque», de la crise «espagnole», «portugaise» ou d’ une autre demain, n’est pas seulement la politique européenne commune ni le sort des Balkans. C’est bien l’idée même de l’Europe unie qui risque de mourir, et sa monnaie commune avec elle, comme l’ont déjà noté les hommes politiques et les analystes économiques les plus pénétrants en Europe et au niveau international. Si en 1990-91, la politique allemande avait établi le… rôle des USA en Europe du Sud-est, la politique allemande actuelle conduit à la consolidation de leur rôle hégémonique aujourd’hui ébranlé dans les affaires européennes, sinon mondiales. Tout en privant l’Europe de la possibilité de jouer, en s’appuyant sur ses idées et sa civilisation, un rôle d’avant-garde dans la refonte si necessaire du système mondial.
Des erreurs historiques si colossales ne sont pas sans précédent dans l’histoire allemande : aujourd’hui, Berlin surestime sa puissance économique, comme il avait surestimé sa puissance militaire dans les années 1910 et 1930, contribuant ainsi à la destruction de l’Europe et de l’Allemagne elle-même, lors des deux Guerres Mondiales. (1)
L’établissement de la monnaie unique et le mode de fonctionnement de l’UE, ont profité surtout à l’Allemagne qui refuse pourtant d’ «ouvrir sa bourse» à ses partenaires en difficulté. Elle ne défend pas l’Europe ni à l’extérieur, contre les attaques des banques internationales dominées par les Anglo-américains ni contre celles du capital financier, nommés par euphémisme «les marchés». Elle ne la défend pas non plus à l’intérieur, non seulement parce qu’elle refuse d’assister un soi-disant partenaire, en l’occurrence la Grèce, mais aussi en l’insultant, par une campagne sadique et raciste des media allemands, au moment où elle affronte des difficultés vitales ! (2)

L’ Allemagne et le Maastricht
L’Allemagne a raison lorsqu’elle soutient que, en agissant de la sorte, elle défend les règles de Maastricht, qui interdisent toute sorte de solidarité et d’entraide entre les membres de l’UE et imposent, jusqu’à la fin des temps, une politique monétaire qui n’existe nulle part ailleurs au monde. Ces règles correspondent aux intérêts allemands, du moins tels que les conçoivent les milieux dominants de Berlin, et, surtout, à ceux des banques et plus généralement des grands détenteurs du capital financier. C’est leurs profits que garantissent les règles de Maastricht, en association avec le régime de libéralisation totale des échanges de capitaux et de marchandises, qui interdisent explicitement ou implicitement aux Européens d’exercer une politique inflationniste, keynésienne, anticyclique, quand il le faut, mais aussi de se défendre contre l’antagonisme économique extérieur, de la part des USA ou de la Chine.
En soutenant cependant, à juste titre, que sa politique actuelle est dictée par le traité de Maastricht, qui doit être respecté comme l’Évangile, Berlin dévoile, malgré lui, le caractère monstrueux de l’actuel édifice européen. On n’a nullement besoin d’être économiste, le sens commun suffit, pour comprendre qu’aucune Union d’aucune sorte de personnes, de peuples, d’États, ni de quoi que ce soit, ne peut avoir une vie bien longue, si elle est fondée sur… l’interdiction de solidarité entre ses composantes ! Les peuples de l’Europe n’ont pas consenti à l’idée de l’unification européenne pour … se ruiner ; ils y ont consenti pour acquérir davantage de sécurité et de prospérité.
En disant à ses partenaires … d’aller se faire voir ailleurs, à la première difficulté, les dirigeants allemands délégitiment eux-mêmes, dans une grande mesure, aussi bien l’idée de l’Europe unie que celle de la monnaie unique, ainsi que leur propre ambition d’être à la tête de l’Europe. A quoi sert une Union qui a mobilisé tous ses moyens pour sauver les banques qui avaient provoqué la crise de 2008, et qui refuse de sauver un peuple européen menacé par ces mêmes banques renflouées au moyen de l’argent public ? La seule raison pour laquelle les membres de la zone euro, qui sont touchés par la crise, y demeurent encore, est leur crainte des conséquences d’un retrait (et divers intérêts de leurs milieux dirigeants). Mais pour combien de temps encore cette raison sera-t-elle suffisante, surtout dans le cas d’une éventuelle aggravation de la crise économique, qui transformera de vastes zones européennes en une sorte d’Amérique Latine ? De même qu’au XXe siècle, l’ Allemagne paiera de nouveau, elle aussi, le prix de son égoïsme, politiquement, en minant son propre rôle et économiquement, en étouffant les acheteurs de ses produits. Mais elle risque de s’en rendre compte quand il sera trop tard pour réparer la situation.

La crise grecque comme crise de l’ eurozone
Il est presque évident que la crise grecque n’a pas à voir uniquement ni même essentiellement avec les problèmes intérieurs assez importants du pays, la faiblesse de son etat et son système politique existant, source d’une vaste corruption. Ces problèmes, ainsi que le fait que la Grece depense des sommes colossales pour se defendre d’ une Turquie revisioniste, sont cependant des facteurs qui déterminent la forme, le moment d’apparition de cette crise et la capacité du pays à y faire face. Mais ils n’en constituent pas la cause, comme le prouve la crise en Espagne, au Portugal et ailleurs également. En Grèce, elle peut prendre l’aspect d’une crise de la dette publique, en Espagne de l’endettement privé, elle est cependant présente partout. Elle reflète l’incapacité de long terme des pays les plus faibles de l’Union à faire face, d’une part à une politique monétaire modelée sur les intérêts de l’Allemagne et des banques internationales, et d’autre part à la suppression de toute barrière de protection extérieure de la zone euro.
Le fonctionnement «intérieur» de la monnaie unique, faute de mécanismes compensatoires, conduit à un transfert permanant de plus-values du sud de l’Europe vers le nord. Le fonctionnement «extérieur» d’une zone euro qui s’est volontairement interdit toute protection contre la concurrence américaine et chinoise, toute politique industrielle et sociale, toute harmonisation fiscale conduit à la dégradation de la capacité européenne de production dans l’ ensemble de l’Europe, en commençant par les plus faibles. L’ industrie grecque par exemple se délocalise de la Grèce du Nord vers les Balkans, les touristes désertent le pays d’une monnaie chère, l’euro, préférant le littoral turc. (4). Le problème va s’aggraver avec la fin, bientôt, des politiques de cohésion. Le problème structurel grec a certes accentué la situation et a amené la Grece en plein milieu de la crise européenne, mais ce n’est pas lui qui l’ a créé.
L’Europe du Sud n’est pas la seule à faire face à ces problèmes. La France, un pays plus central et métropolitain, coeur politique de l’ Europe, si l’ Allemgne en constitute le coeur industriel, les a également recensés et doit les affronter. Ils sont à l’origine du rejet de la constitution européenne par le peuple français en 2005. Depuis lors, d’importants intellectuels français ont mis en évidence l’impasse vers laquelle se dirige la zone euro. Par exemple Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Bernard Cassen et l’ ATTAC, Maurice Allais pour ne citer que quelques uns, soulignent qu’il est impossible qu’une Europe productive et sociale puisse survivre sans quelque forme de protectionnisme. L’obstination dans les règles de la zone euro telles qu’elles se présentent actuellement mène au totalitarisme, dit Todd. L’Europe se dirige vers la catastrophe avec le système ultralibéral d’échanges et la suppression de la préférence communautaire par les autorités de Bruxelles.
Jusqu’à présent, les idées de réforme de la zone euro ne pouvaient pas être appliquées, faute de volonté politique. Ce serait une tragédie pour le peuple grec si, a cause, entre autres, de la façon dont le système politique grec et une elite politique en pleine degenerescence gère le pays, il était appelé payer au prix de sa catastrophe l’énergie nécessaire à une réforme de l’euro, qui serait mise en place, si elle l’est un jour, trop tard pour que la Grece puisse en profiter.

Economie et Geopolitique
Pour ce qui est cependant de la dimension géopolitique du problème, les dirigeants allemands ne semblent pas avoir tiré les enseignements de leur propre histoire, c’-est-a-dire se rappeler leur incapacité, durant les décennies qui avaient précédé la Première Guerre Mondiale, d’encaisser les profits attendus de leurs progrès scientifiques et technologiques. Le Capitalisme-casino, engendré par le dérèglement de ces dernières décennies et auquel ils ont consenti de façon intéressée, caractérisée par l’absence totale de perspicacité stratégique, est un enfant anglo-américain. Aucun joueur, si bon et si fort qu’il soit, ne l’a jamais emporté sur le propriétaire du casino!
On est en droit de se demander si quelque plan stratégique ne se cache derrière la crise déclenchée actuellement non seulement par raport a la dette grecque, mais aussi contre l’euro, au moment même où ce dernier s’apprêtait à devenir une devise mondiale. D’autant plus que, maintenant nous le savons, Goldman Sachs se trouvait derrière l’attaque contre la Grèce et l’ euro.
En se barricadant derrière le traité de Maastricht, dans une Europe-«dictature des banques», les Allemands ont certes profité de leur suprématie économique, mais ont en même temps permis que soit tendu un énorme piège potentiel, qui vient d’être activé, contre l’Europe unie. Il fallait, d’ailleurs, s’attendre à ce que les choses évoluent dans ce sens, quand on voit par exemple l’architecte de la politique monétaire européenne n’étant autre que l’homme de Goldman Sachs, Otmar Issing. Un, du reste, dans un vaste reseaux d’ influence de cette banque en Europe.
On voit donc peut-être aujourd’hui se développer le plan stratégique qui intègre la géopolitique et la géoéconomie dans l’architecture du traité de Maastricht. La crise était inscrite dans le traité-meme avec deux aboutissements possibles: soit la transformation de l’Europe en une structure totalitaire assujettie, soit sa dissolution en ses composantes, ou en tout cas son maintien dans un état de déchirement dû à ses problèmes internes, qui l’empêche de gagner son autonomie vis-à-vis des USA et d’imposer des règles au capital financier mondial.
La politique de Berlin semble être fondée sur l’espoir de tirer meilleur profit dans le cadre de la mondialisation que s’il revendiquait pour le compte d’une Europe réformée d’être sur un pied d’égalité avec les USA, dans le cadre d’un monde multipolaire aux flux des capitaux et des marchandises règlementés. Justement parce qu’il a sans doute encore le souvenir de ses défaites, quand il avait recherché l’hégémonie europeene et mondiale. Mais, ceci faisant, il semble oublier que la mondialisation est dominée par le secteur financier et du credit, et point par l’industrie qui constitue le point fort de l’ Allemagne. Qui risque, en fin de compte, de se retrouver dans la même situation qu’elle avait connue vers la fin du «grand» siècle libéral, à la veille de la Première Guerre Mondiale.
Les dirigeants allemands pensent peut-être qu’un «renvoi» ou un retrait forcé de la Grèce de la zone euro serait une solution qui, d’une part «servirait d’exemple» pour les autres membres de l’Union et aurait augmenté, d’autre part, l’homogénéité d’un noyau dur européen qui s’est trop «ramolli». L’idée d’une «Europe de plusieurs vitesses» et de cercles homocentriques, telle que l’avait formulée Karl Lammers, reste très populaire en Allemagne. Seulement, les cercles risquent finalement de s’avérer hétérocentriques.
Il est évident que pour la Grèce, mais aussi pour d’autres membres de la zone euro, le problème se posera de lui-même et, à ce qui parait, plus tôt et non plus tard qu’on ne l’imagine. Rester dans la zone euro n’a un sens pour la Grèce et pour d’autres pays que si celle-ci est réformée très vite et en profondeur. Mais il n’est pas du tout certain qu’un ou plusieurs retraits aient pour l’Allemagne les avantages auxquels elle s’attendrait.
En persévérant dans cette politique, Berlin risque de plonger la zone euro et l’UE dans une crise très grave. Il mènera, en même temps, à une défaite stratégique majeure de l’Europe dans l’Est méditerranéen, contribuant ainsi à la réalisation de l’objectif stratégique central des USA dans la région, à savoir la constitution d’une zone d’influence américano-turque depuis la mer Adriatique jusqu’au Caucase et Chypre.
Une telle zone, dans l’optique de «l’occupation du centre» de «l’échiquier stratégique» selon Brzesinski, s’interposerait entre l’Europe et les hydrocarbures du Moyen Orient, entre la Russie et les «mers chaudes». Elle participerait en plus à l’Union Européenne. Elle serait, en d’autres termes, un des centres d’une Eurasie dominée par les USA, un outil qui servirait à la «paralysie stratégique» de l’Europe et une base de «containement» contre la Russie. On devrait savoir, en Europe, mais il est douteux que l’on veuille le savoir, depuis les fameux rapports de Wolfovitch et de Jeremia qui ont crystallise la strategie post-guerre froide des Etats-Unis, que l’objectif stratégique de Washington est le non avènement de forces antagonistes, et pour y parvenir elle applique des politiques propres à empêcher dès maintenant une telle éventualité, en «programmant» si possible de crises ou en mettant des obstacles à des collaborations et des alliances entre divers pôles du système international. Dans un cas, l’ Allemagne l’ a bien compris, quand elle a decide de construire le geazoduc NordStream, la liant directement avec la Russie, mais en general elle continue d’ etre strategiquement aveugle.

Athènes, 20 Mars 2010

NOTES
La classe ouvrière allemande suit maintenant ses dirigeants avec une discipline exemplaire, exactement comme elle l’a fait au XXe siècle, en acceptant la baisse de ses revenus en contrepartie d’une stabilisation du chômage. Il nous faudrait un nouveau Heggel pour décrire comment la discipline, incarnation suprême de la Raison et le plus grand atout de l’Allemagne, semble se transformer en sa plus grande faiblesse. Mais il est assez utopique d’espérer que les acquis des Allemands vont être préservés, dans une Europe qui tourne en ruine sociale. Brecht a très bien décrit ce processus: Au début, tout le monde avait observé passivement ce qui se passait concernant les communistes. Puis on a observe tout aussi passivement ce qui se passait avec les Juifs. Finalement, il n’ y eu personne pour défendre qui que ce soit.
Il nous faudrait peut-être recourir à la psychanalyse pour comprendre le mécanisme suivant lequel un écrasement, tel que celui subi par les Allemands en 1945, semble les empêcher toujours de digérer leur propre histoire, surtout l’histoire des tragédies qu’ils ont subies et infligées. En tout cas, la campagne des media allemands contre la Grèce relève d’un caractère ouvertement sadique et raciste et nous apprend plus sur l’Allemagne que sur les Grecs. Je suppose que l’humanité se souviendra plus longtemps de la Vénus de Milo, telle que l’a présentée le magazine allemand Focus pour insulter le peuple grec, que du centre commercial de Sony, que l’Allemagne a choisi de bâtir à la place du Mur, symbole d’un Rien égoïste et absolu qui menace de mort la civilisation européenne. Quant aux media allemands, ils ne sont pas très prolixes sur les déficits commerciaux continus de la Grèce envers l’Allemagne, du fait que celle-ci a profité des Travaux Publiques grecs et a acheté les meilleures firmes grecques à des prix avantageux, en faisant payer par la compagnie Ziemens les politiciens grecs socialistes ou conservateurs, ni sur le fait que l’Allemagne n’ a pas encore versé à la Grèce des dédommagements pour les ravages massifs qu’elle a provoqués au pays pendant la Seconde Guerre Mondiale. Berlin n’a même pas restitué les réserves d’or de la Banque de Grèce, volées par les troupes allemandes nazi à l’époque!
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