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Avez-vous lu Douguine ?

La question de la temporalité est évidemment cruciale, lorsqu’il s’agit de penser. Il arrive que des œuvres pourrissent en mûrissant. Je relisais dernièrement quelques bouquins d’Alexandre Zinoviev, et je m’étonnais qu’ils fussent si anachroniques, si peu en phase avec ce qu’était devenu le monde depuis 1989, et, faut-il le dire, si illisibles. Les discours sur la réalité, si l’on dissipe les fumets de la mode et des emballements du moment, pâtissent cruellement de la dérive des choses, fût-elle minime. Soudain, c’est une fissure, parfois un abîme, qui les séparent de l’expérience collective ou individuelle, et ils deviennent alors des bavardages, des vapeurs.

Quel est donc le défaut heuristique des écrits de Zinoviev, de tous les dissidents qui s’opposaient à l’empire soviétique, et, plus généralement, de ceux qui étaient plongés dans cette gigantomachie mondiale, mettant en prise les tenants des première et deuxième théories, selon la classification métapolitique d’Alexandre Douguine, c’est-à-dire le libéralisme et le marxisme ? Comment des vérités de l’heure, bien qu’elles ne soient pas devenues pour autant des mensonges, constituent-elles néanmoins des erreurs épistémologiques ?

Alain de Benoîst sur La Quatrième Theorie Politique (Moscou 2008)

La Quatrième Théorie Politique ?

C'est un concept qui englobe le refus des théories libérales, démocratiques, capitalistes, globalistes et (post) modernistes. Pour Douguine les théories anti-libérales de jadis (fascisme et socialisme) ne font plus le poids. Il faut, dès lors, retenir de ces dernières leurs côtés positifs, l'anti-libéralisme et l'anti-capitalime certes, mais aussi la justice, la solidarité sociale, et rejeter le matérialisme athée, moraliste et individualiste.
De même, rejet de tout racisme, xénophobie et chauvinisme national. Il n'y a pas de supériorité d'une race sur une autre. Les ethnies, les races sont différentes et s'expriment d'une manière qui l'est autant. L'humanité est pareille à un orchestre symphonique avec des cordes, des bois, des percussions, des cuivres etc... qui tous, depuis leurs pupitres concourent à l'harmonie de l'ensemble.

Le projet de la Grande Europe (Une ébauche géopolitique pour un monde multipolaire à venir)

1. Suite au déclin et à la disparition du Bloc socialiste en Europe de l’Est à la fin du siècle dernier, une nouvelle vision géopolitique du monde basée sur une nouvelle approche est devenue une nécessité. Mais l’inertie de la pensée politique et le manque d’imagination historique chez les élites politiques de l’Occident victorieux a conduit à une option simpliste : les bases conceptuelles de la démocratie occidentale, une société d’économie de marché, et la domination stratégique des États-Unis à l’échelle mondiale sont devenues les seules solutions à tous les défis émergents et le modèle universel qui devrait être impérativement accepté par toute l’humanité. 

2. Cette nouvelle réalité émerge devant nos yeux – la réalité d’un monde organisé entièrement par le paradigme américain. Un think-tank néoconservateur influent des États-Unis modernes s’y réfère ouvertement par un terme plus approprié – ‘l’Empire global’ (parfois ‘l’Empire bienveillant’ – R. Kagan). Cet Empire est unipolaire et concentrique dans sa nature profonde. Au centre, il y a le ‘Nord riche’, la communauté atlantique. Tout le reste du monde, – la zone des pays sous-développés ou en développement, considérée comme périphérique, – est censé suivre la même direction et le même cours que les pays du cœur de l’Occident bien avant eux.

De la quatrième théorie Politique

Une critique de l'étatisme ne revient pas une validation intégrale du libéralisme. Je pense qu’aujourd’hui la critique de l'étatisme doit s'axer sur sa soumission à la Banque et aux marchés. Son républicanisme "royal". Son incapacité d'être un état par l'effet du mauvais fédéralisme de l'UE.

-"une certaine tendance girondine et décentralisatrice":
il m'est difficile de résumer:"qu'est ce qu'une politique girondine?". En ce une politique modérée - du juste milieu grec pas de la tiédeur bobo - l'idée d'étendre le message de la révolution, privilégiant l'entrisme politique à la guillotine.  
-"la critique de la logique du capital": c'est pas ce qui manque, de Marx à Soral, D’Orwell à Michéa, de Clouscard à Michel Drac...
-"le sens du commun": en ce, le bien commun ne se décrète pas. Le premier chantier pour retrouver le bien commun est de le diffèrencier de son inversion qu'est l’intérêt générale. La confusion de ces deux notions est récurrente chez l'homme moderne qui au final confond social et sociétale.
-"le holisme": 
"Holisme (du grec ancien holos signifiant « la totalité, l'entier ») est un néologisme forgé en 1926 par l'homme d'État sud-africain Jan Christiaan Smuts pour son ouvrage "Holism and Evolution". Selon son auteur, le holisme est : « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l'évolution créatrice ». Le holisme se définit donc globalement par la pensée qui tend à expliquer les parties à partir du tout. De ce fait, la pensée holiste se trouve en opposition à la pensée indivisualiste qui tend à expliquer le tout à partir des parties." (Source:wikipédia)
pour repenser le bien commun.

Douguine et la quatrième théorie politique

Le monde que, petit à petit, insidieusement, nos penseurs et dirigeants nous préparent sera un monde uniforme, dominé par une pensée matérialiste, athée et individualiste.

Ce sera un monde où une seule grande puissance, un Empire, exercera son hégémonie dans tous les secteurs : politique avec sa démocratie et le suffrage universel, économique avec sa conception libérale des échanges, mondialiste dans sa dimension, un Empire qui, à l'instar des colonialistes de jadis, imposera ses concepts mentaux sous des vocables engageants mais trompeurs, « droits de l'homme », « démocratie », « égalité des sexes et des genres » etc...

Cette uni- polarité se veut basée sur des valeurs « modernes », soit le consumérisme, l'individualisme, le capitalisme qui toutes rompant avec les traditions nationales sont génératrices des cataclysmes passés (les deux guerres mondiales) et futurs. René Guénon, à l'instar des hindouïstes parle du « Kali Yuga » (âge de fer) pour définir notre époque.

La quatrième dimension

Le libéralisme, lui, semble être le grand vainqueur de la compétition. Ce sont en tout cas ses principes, portés par l’idéologie des droits de l’homme, qui dominent au sein de la Nouvelle Classe planétaire et restent aujourd’hui les plus diffusés dans le cadre de la mondialisation. Aucune doctrine n’est intégralement fausse. Elle contient toujours des éléments de vérité. Faisons-en un panorama (plus que) rapide. A retenir du libéralisme : l’idée de liberté, associée à celle de responsabilité, le refus des déterminismes par trop rigides, la notion d’autonomie, la critique de l’étatisme, une certaine tendance girondine et décentralisatrice. A rejeter : l’individualisme possessif, la conception anthropologique d’un producteur-consommateur recherchant son meilleur intérêt du fait de ce qu’Adam Smith appelait son « penchant à trafiquer », c’est-à-dire de sa propension à l’échange, l’idéologie du progrès, l’esprit bourgeois, le primat des valeurs utilitaires et marchandes, le paradigme du marché, le capitalisme enfin. A retenir du socialisme : sa critique de la logique du capital, qu’il a été le premier à analyser dans toutes ses dimensions économiques et extra-économiques, le sens du commun et l’exigence de le renouveler, l’idée que la société se définit comme un tout (le holisme, fondateur de la sociologie), la volonté d’émancipation, la notion de solidarité, l’idée de justice sociale. A rejeter : l’historicisme, l’étatisme, la tendance à l’égalitarisme et à l’hypermoralisme doloriste. A retenir du fascisme : l’affirmation de la spécificité et de l’identité des peuples et des cultures nationales, le goût des valeurs héroïques, le lien entre l’éthique et l’esthétique. A rejeter : la métaphysique de la subjectivité, le nationalisme, le darwinisme social, le racisme, l’ordre moral, l’anti-féminisme primaire, le culte du chef, et encore l’étatisme.

La Quatrième théorie politique

Le XXème siècle s’est achevé mais nous commençons seulement maintenant à nous en rendre compte. Le XXème siècle a été le siècle des idéologies. Si, au cours des siècles passés, les religions, les dynasties, les couches sociales, les États-nations ont joué un rôle considérable dans la vie des peuples et des sociétés, au XXème siècle la politique s’est déplacée vers le domaine purement idéologique, recouvrant d’une nouvelle façon la carte du monde, des peuples et des civilisations. Les idéologies partiellement politiques incarnaient des tendances anciennes, profondes et civilisationnelles. Elles étaient également, en partie, particulièrement novatrices.

Toutes les idéologies politiques qui ont atteint leur pic de diffusion et d’influence au XXème siècle étaient une création des Temps modernes et incarnaient de façon diverse, voire sous des signes différents, l’esprit moderne. Aujourd’hui, nous quittons précipitamment cette époque. C’est pourquoi on mentionne de plus en plus souvent une « crise des idéologies », voire « la fin des idéologies » (ainsi, la Constitution de la Fédération de Russie nie clairement l’existence d’une idéologie d’État). Il est donc temps d’examiner cette question plus en détails.

Je crois que il y a deux Europes. Un entretien avec Alexandre Douguine

L'Europe semble totalement absente de cette renaissance géopolitique, tellement elle est inféodée au parapluie Américain, quelle est votre opinion sur l'Union Européenne et sur la place que devrait avoir l'Europe dans le monde, et avec avec la Russie ?

Je crois que il y a deux Europe. L'Europe continentale (Franco-Allemande) et l'Europe atlantiste (Nouvelle Europe inclue). Ces deux Europes sont géopolitiquemet opposées en tout. Cela explique le blocage. Avec Sarkozy et Merkel la position des forces continentales est devenu plus faible. Je n'ai aucune recette pour l'Europe. C'est l'affaire des européens – quoi choisir.

La Quatrième théorie politique : être ou ne pas être ?

 

Le libéralisme, mettant toujours l’accent sur la minimalisation du politique, a décidé, après sa victoire, de supprimer de façon générale la politique. Vraisemblablement pour ne pas permettre la formation d’une alternative politique et rendre son règne éternel ou simplement en raison de l’épuisement de l’agenda politique dû à l’absence d’ennemis, lesquels, selon Carl Schmitt, sont nécessaires à la constitution de la position politique. Dans tous les cas, le libéralisme a conduit à un repli du politique. Ce faisant, le libéralisme s’est lui-même transformé, passant du niveau des idées, des programmes politiques et des déclarations au niveau des choses et est entré dans la chair de la réalité sociale, devenue libérale, non pas d’un point de vue politique, mais d’une façon quotidienne, « naturelle ». À la suite d’un tel tournant de l’histoire, toutes les idéologies politiques qui avaient lutté férocement entre elles au cours des siècles passés ont perdu leur actualité. Le conservatisme, le fascisme et le communisme, ainsi que leurs variétés marginales ont échoué, tandis que le libéralisme, triomphant, s’est mué en la vie quotidienne, en consumérisme, individualisme, en le style postmoderne de l’être sub-politique et fragmenté. La politique est devenue biopolitique et s’est déplacée du niveau individuel au niveau sub-individuel. Il semble donc qu’aient quitté la scène non seulement les idéologies défaites, mais aussi la politique en tant que telle, y compris la politique libérale. Précisément pour cette raison, apparaît la formation d’une alternative. Les opposants au libéralisme se sont retrouvés dans une situation complexe : l’ennemi vaincu s’est évaporé, il a disparu ; on lutte contre le vide. Comment faire de la politique quand il n’y a pas de politique ?

 

Il faut lire Alexandre Douguine

 

Quand les notions de droite et de gauche ne veulent plus rien dire en politique, aussi bien en Occident que partout ailleurs dans le monde ; quand les libéraux et les libertaires sont d’accord sur l’essentiel ; quand les trois grandes théories politiques du XXème siècle – le capitalisme, le communisme et le fascisme - ont prouvé, de fait, leur incapacité à gouverner pacifiquement les peuples, que reste-t-il à faire ?

Pour Alexandre Douguine, enseignant de sociologie et de géopolitique à la célèbre université Lomonossov de Moscou et intellectuel parmi les plus écoutés de Russie, il n’y a plus qu’une solution, radicale : inventer une autre approche, une Quatrième théorie politique.

Penser et théoriser celle-ci : telle est l’objet de ce livre.

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