Nous allons vous guérir avec du poison

Nous allons vous guérir avec du poison

(un essai sur le Serpent )

L’évolution des animaux capitalistes

Traditionnellement, il y a une mauvaise attitude envers le serpent. C’est un terme injurieux. En mémoire de la tentation d’Eve au Paradis, les reptiles sont privés de pattes et rampent sur leur ventre, sur le sol humide et nu. Le serpent a incorporé Satan. Le mauvais esprit galope à travers le cimetière sur son cheval sans pattes et couvert d’écailles, pendant la nuit, effrayant les vampires et les lapins dormant derrière les buissons. Etant venimeux, froid et souple, le serpent attire peu de sympathie. Marx prit la taupe comme symbole du capitalisme. Comme une taupe aveugle, le capitalisme creuse des trous sombres dans les cœurs des petites gens, parcourant les labyrinthes vampiriques, amenant des bénéfices croissants pour la plus méprisable minorité et des souffrances innombrables pour la plus stupide majorité. Gilles Deleuze a remarqué à juste titre que le capitalisme moderne a changé de symbole. La taupe habituelle a épuisé ses possibilités. Ses sales trous ont tellement grêlé le pauvre sol que la réalité est devenue un tamis à l’échelle mondiale, d’où les habitants de ce coté-ci du grand mur font des grimaces. L’Ere de la Taupe est terminée. Le capitalisme, comme le dit Gilles Deleuze, entre dans une nouvelle phase : la phase du serpent. Dans le monde moderne mondialisé, la distinction entre dominants et dominés, entre hommes et femmes, rassasiés 
et affamés, médecins et patients, enseignants et savants s’efface d’elle-même. Une société ouverte s’est construite en accord avec le principe du serpent. Tout se mélange avec quelque chose d’autre, une marée sociale continuelle pénètre dans les couches de la société globale. Le capitalisme ne corrompt plus le Travail, mais créée le Travail sous forme de divertissement. Le clonage des gens est devenu possible seulement parce que le Capitalisme a réussi à cloner le Travail. A présent on comprend pourquoi on peut voir un riche terrarium toujours éclairé dans les bureaux de la grande oligarchie bancaire. Derrière les portes closes, l’animal et son propriétaire se regardent mutuellement avec un regard froid et avec des paupières immobiles et lourdes. Le Maître de la Société du Spectacle, l’hypnotiseur des foules eurasiennes dupées et paralysées, qui sont les dernières à attendre en bas du lumineux escalator qui les fera tomber dans l’enfer mondialiste de la Fin de l’Histoire. L’Oligarque connaît probablement Deleuze. Et le python le connaît aussi. Et Marx le prophète – dispersé aux quatre coins du monde – le connaît aussi.

Serpent contre Serpent

La Tradition est une antithèse du cartésianisme. La logique formelle – c’est là que l’Etoile 
du Matin a commencé la subversion de notre monde majestueux et sacré.

Une telle logique incite à rechercher une alternative au serpent. Si le serpent est mauvais, alors le non-serpent est bon. Mais c’est un piège : la pensée catégorique est anti-ontologique, elle opère avec des abstractions rationnelles. Aucun non-serpent n’est capable de vaincre le serpent. Nous pouvons dire cela d’une autre manière : seul un serpent peut faire face à un autre serpent. Rappelez-vous donc : « Soyez sages comme les serpents » (Mathieu, 10 : 16).

Le serpent cuivré, dont l’image fut brandie par Moïse dans le désert, est considéré comme un prototype du Rédempteur. Le serpent sur une croix décore les temples orthodoxes. Le serpent fait face au serpent, enroulant son corps souple et froid autour de son sombre double.

Le serpent est le symbole à la fois du principe mâle et du principe femelle. Une ancienne légende dit qu’Alexandre le Grand était né d’un serpent. Et dans la tradition chinoise, un Dragon Jaune ressemblant à un serpent est considéré comme le symbole du Logos Céleste. L’incarnation spiralée d’une idée anagogique, une idée qui élève l’esprit, comme une bouffée de fumée montant vers les cieux, se dispersant et ensuite se dissolvant dans le ciel bleu de la connaissance absolue, et devenant la bannière des Gnostiques Ophites, vénérant la Déité Supérieure sous la forme d’un serpent. Les premiers chrétiens connaissaient un étonnant symbole, l’Amphisbène, un serpent à deux têtes formé de deux moitiés, une noire et une blanche, les deux protagonistes du dernier combat, en un seul corps. Le Christ et l’Antéchrist n’ont tous deux qu’un seul argument : l’Homme – dégénéré rampant de cette époque finale, roulant dans le marais des illusions transparentes, ne tirant sa vie que de l’âme avide et décadente de ses victimes.

Notre terrarium

Vous rappelez-vous combien de temps le Zarathoustra de Nietzsche avait traîné derrière lui 
le corps brisé d’un funambule ? Et pourquoi ? Parce que même le dégoût envers l’homme 
et son acceptation facile de la décadence spirituelle n’est pas un argument pour refuser le difficile combat avec l’esprit qui nie la vie.

Et s’il en est ainsi, il y a une nouvelle tâche au programme du jour : la construction de notre terrarium. La création d’une espèce nouvelle et plutôt dangereuse, à l’opposé des clichés erronés et inopérants du cartésianisme. Nous ne pourrons donc vous guérir qu’avec du poison. Celui qui n’est pas prêt à risquer la mort, ne vivra jamais.