Les structures anthropologiques de l'imaginaire chez les Celtes et les Germains.


Les structures anthropologiques de l'imaginaire 


chez les Celtes et les Germains

ECOLE  D'ANTHROPOLOGIE ​1 PLACE D'IÉNA 75116 PARIS 

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Thèse 

Depuis la première édition, en 1960, de la thèse de doctorat de Gilbert Durand, "Les structures anthropologiques de l'imaginaire", dix fois rééditée par la suite, une pléiade de chercheurs ont bénéficié d'un nouveau regard sur l'Homo Sapiens devenu Homo Symbolicus.

 Disciple de Gaston Bachelard, Gilbert Durand propose une véritable "métaphysique de l'imaginaire", non plus fondée, comme celle d'Aristote ou de Descartes, sur la raison ou la logique, mais sur cette "liberté imaginaire", créatrice des structures fondamentales de l'être humain.

A travers ses multiples ouvrages, Gilbert Durand montre comment la pensée occidentale a constamment rabaissé, voire nié, la fonction d'imagination chez l'homme, la taxant de "folle du logis" ou de "maîtresse d'erreur et de fausseté" et ce, au profit de la raison. Encore aujourd'hui, pour la plupart des penseurs occidentaux, l'imaginaire est conçu comme un mode "primitif" de connaissance.

L'imaginaire est pour Gilbert Durand l'indicateur général de la science de l'homme, l'étalon or de l'hominisation. "C'est par lui que commence l'homme. Chez l'animal, les images primitives définissent et permettent l'équilibre de l'espèce. Mais, chez l'homme, ça se complexifie et ça éclate: les archétypes humains sont des réceptacles d'images possibles. Ils se dessinent en creux, et ces creux sont prêts à recevoir des images plus ou moins spécifiées par les cultures, les moments historiques, etc..." (G. Durand, "Le cordonnier de l'imaginaire", Le Point n°634, novembre 1984, page 187.)

 La "révolution anthropologique" réalisée par Gilbert Durand consiste à affirmer que l'imaginaire est l'ensemble des images et des relations d'images constituant le capital pensée d'Homo Sapiens et qu'il est le dénominateur fondamental où viennent se ranger toutes les procédures de la pensée humaine. Cette démarche originale met l'accent plus sur la pérennité de l'espèce humaine que sur son processus évolutif.

 Le mérite de la thèse présentée par notre élève Pascal Hachet, "Les structures anthropologiques de l'imaginaire chez les Celtes et les Germains", est double.

 D'une part, ce travail représente le premier essai d'application de la méthodologie de Gilbert Durand à un véritable travail de recherche à l'École d'Anthropologie. D'autre part, bien que d'autres travaux d'application au monde celte ou germain aient déjà vu le jour, il s'agit du premier essai comparatif entre ces deux mentalités.

 En ce qui concerne la méthodologie, cette thèse procède d'un travail statistique minutieux, bien que, par l'étendue du sujet, pas totalement exhaustif mais suffisant pour permettre l'élaboration de tableaux comparatifs sur le fonctionnement de chaque composante symbolique des régimes diurne et nocturne de l'imaginaire chez les Celtes et les Germains.

 Grâce au travail de Pascal Hachet, nous sommes en présence des premiers "mandalas", c'est-à-dire des premiers psycho-cosmo-grammes du fonctionnement mental de ces deux peuples cousins mais combien différents.

 Il s'agit d'un véritable outil d'orientation pour ceux qui s'intéresseront à mieux comprendre ces deux peuples qui ont façonné une partie de l'Europe. La survivance de ces imaginaires modèle encore aujourd'hui une partie du comportement européen, au-delà des frontières et des ethnies.

 Il est frappant de constater le lien entre l'imaginaire solaire antithétique des Germains, incapable d'intégrer la dimension d'intimité et de synthèse et les idéologies de pureté de la race et de purification ethnique qui ont envahi le XXème siècle. Nous le savons aujourd'hui, elles ne sont pas le fait d'un ou de quelques fous mais correspondent à des réalités profondes d'ordre spirituel et culturel.

 La marginalisation de l'imaginaire celte à l'aube du christianisme réduit son influence aux comportements mystiques des ordres religieux, à l'architecture abbatiale et, jusqu'à nos jours, à un profond courant littéraire humaniste. Cette marginalisation se manifeste encore dans la hantise des peuples d'Occident d'appliquer avec fermeté leurs décisions, ce qui les réduit parfois à constater leur impuissance et à ne réagir avec la force du désespoir que lorsqu'ils se sentent irrémédiablement menacés.

 A l'heure des interrogations sur l'avenir de l'Europe, et sur les fondements culturels et spirituels dont elle a besoin pour créer le ciment de nouvelles cohérences, la lecture attentive de l'itinéraire dans l'histoire des imaginaires celte et germain pourrait être révélatrice et nous permettre de comprendre les sources profondes d'événements, apparemment tragiques ou incompréhensibles, que nous vivons à la fin du XXème siècle. 
 

F.S. Directeur de Thèse 

Cette recherche est extraite d'une thèse soutenue à l'École d'Anthropologie de Paris, "Les structures de l'imaginaire chez les Germains et les Celtes", effectuée sous la direction de Fernand SCHWARZ. Nous lui dédions la présente étude. Nos remerciements vont également à M. le Dr. Bernard HUET, directeur de l'École d'Anthropologie de Paris, qui a permis cette publication synthétique de ma thèse, ainsi qu'au Pr. Gilbert DURAND, sans la méthodologie géniale duquel ce travail n'aurait pu voir le jour. 
 

AVANT-PROPOS
 Les civilisations naissent, croissent, puis déclinent et meurent.
 Mais si les sociétés, fussent-elles les plus stables et les plus splendides, disparaissent, l'imaginaire qui les porte demeure.
 Alors que les états s'évanouissent, que les cultes sont délaissés, les logiques de la pensée symbolique, qui valent pour l'espèce et que choisissent des peuples entiers au-delà des individus, subsistent, s'obstinent par-delà les siècles, se transmettent de peuple en peuple, d'époque en époque, de façon plus ou moins révélée, jusqu'à ce que, parfois, leurs trames, dont l'Histoire elle-même est tributaire tel un fleuve de sa source, s'imposent de nouveau, sur un mode spectaculaire.
 Les grands symboles de l'âme sont éternels, toujours mouvants, faisant et défaisant les royaumes. C'est que l'imaginaire n'habite pas seulement le mythe ou le conte, qui le codent esthétiquement. Recelant tous les possibles de l'esprit humain, c'est-à-dire tous les modes de compréhension psychique de la vie et de la mort en une conception conciliant, ou non d'ailleurs, l'homme avec son environnement, il pénètre et meut aussi les plus concrètes orientations, options et décisions qui fondent les collectivités.
 C'est pourquoi toute quête d'identité transite sine qua non par une plongée attentive au sein des strates toujours vivaces déposées par les organisations mentales successives des temps passés sur un territoire donné, par-delà les événements qu'elles génèrent (triste factualité à l'image de celle dont nous assomment les mass-media sans autre sens que celui d'un trauma auditif et visuel assorti d'affligeants prêts-à-penser).
 Les anciennes représentations du monde, lorsque l'on s'attache à les écouter au fond des puits où clapote le vaste océan originel de la mémoire de l'Homo Sapiens, nous indiquent de surprenantes analogies entre les gestions culturelles et sociales adoptées par nos aïeux et celles ourdies et agies en notre temps: idées et choix politiques, décisions économiques et militaires, mouvements religieux, productions culturelles.
 Retrouver et penser quelles logiques gouvernèrent l'imaginaire des civilisations dont le lent brassage produisit à terme notre nation et notre continent -la France et l'Europe, c'est-à-dire initialement l'Occident- c'est se donner la saine possibilité de mener une réflexion claire et de porter un regard lucide, désaliéné des sirènes de l'information publique et des annonciateurs en tout genre, quant aux mentalités qui façonnent aujourd'hui le comportement de l'Homo Occidentalis.
 D'où le choix fait dans cet ouvrage d'appréhender le mode de fonctionnement très particulier des deux civilisations qui constituèrent peut-être, si l'on veut bien se donner la peine de mesurer l'étendue de la dictature pédagogique qui depuis le Moyen-Age et son aristotélisme nous assigna académiquement les Grecs et les Germains comme ancêtres culturels majeurs, les plus puissantes racines d'où émergèrent l'imaginaire et, donc, la pensée occidentale: les Germains et les Celtes.
 Tard résonne ce qui tôt sonna écrivit Goethe. Au Nord de l'Europe, un millénaire avant notre ère, au sein d'un environnement hostile, la naissance de la conception du monde qui allait devenir celle de tout l'Occident dès le Moyen-Age, fut, elle, scandée par un glas destructeur, dont les résonances, brutales, opposées, font férocement retour jusque de nos jours: exclusion sociale et raciale, colonialisme et néocolonialisme, mercantilisme et chosification de l'humain, culte de l'argent fou, alcoolisme et toxicomanie etc...
 La persistance inouïe dans le temps, et la diffusion dans l'espace, tendant à une planétarisation du phénomène, de cette mentalité extrêmiste, héritée des Germains et à  peine tempérée par l'imaginaire conciliant des Celtes, nos autres aïeux majeurs, amena siècle après siècle maintes aberrations collectives, qui doivent être pointées et redécryptées pour comprendre comment nos sociétés actuelles sont le résultat anthropologique direct des cadres de pensée violents avec lesquels fonctionnèrent certains des peuples qui, venus d'Asie, il y a trois mille ans au moins, choisirent de s'établir et de prospérer sur notre sol.
 De ceci résulte la totale originalité du cheminement poursuivi dans cette recherche qui, ne se bornant pas à la simple exhumation de logiques de pensée de civilisations, maintenant dissoutes, à l'aide d'une grille d'analyse symbolique rigoureuse, affirme sa pertinence et son caractère complètement novateur dans l'articulation inédite qu'il réalise entre cette archéologie de l'âme et sa vivace actualité.
 Pour ce faire, j'ai recouru au magistral travail de Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, et j'ai décidé de me référer  à sa méthodologie: une classification dynamique de l'imaginaire effectuée par l'analyse de grands symboles regroupés significativement en termes de régimes anthropologiques de l'imaginaire correspondant chacun à des logiques mentales, soit:
 - d'opposition clivée, 
 - de fusion, 
 - de synthèse des opposés.
 Une fréquentation assidue des représentations de l'au-delà chez les Celtes et les Germains montre que pour les premiers, celles-ci obéissent à des lois ou mécanismes de conciliation des extrêmes, de nuanciation, de fusion; tandis que les seconds obéissent à des lois ou mécanismes d'opposition, d'antinomie, de dichotomie, de clivage. Je mis en parallèle cette démonstration et la classification des images selon G. Durand. Apparut, selon un cadrage étonnamment précis, une analogie frappante entre les lois ou mécanismes semblant régir la culture des Celtes et des Germains et les lois ou structures gouvernant respectivement les deux grandes logiques (ou Régimes) de l'imaginaire mis en évidence par G. Durand.
 Montrer ainsi que l'imaginaire celtique relève fondamentalement des structures à logique euphémisante et totalisatrice de l'anthropologie de l'imaginaire (dites régime nocturne) l'imaginaire germain relève fondamentalement des structures à logique d'opposition et d'antithèse (dites régimes diurnes) de l'anthropologie de l'imaginaire (ainsi que G. Durand les a définis), tel a donc été le but de cette recherche.
 Dans une première partie, j'ai procédé à l'analyse de la civilisation germanique en termes de régime diurne de l'anthropologie de l'imaginaire, en raison de l'analogie logique de l'au-delà germain / logique du régime diurne précitée. Comment? Selon quelle méthode? Très simplement, en reprenant linéairement l'exposé des symboles auquel s'est livré G. Durand. Pourquoi ce choix de méthode? Parce que cet exposé livre un agencement dynamique, cohérent, signifiant, ceci dans la mesure où il permet de voir comment, souvent par déplacement, isomorphisme, les différents symboles s'articulent entre eux dans l'imaginaire, dans une conception valant pour l'espèce humaine. Ainsi, adopter cette linéarité symbolique qu'offre G. Durand, c'est éviter l'écueil aride d'une pure juxtaposition et préserver les réseaux de signification qui sont au coeur de l'imaginaire. Pour quelques uns des symboles liés à la logique d'antithèse évoquée, j'indiquerai ce qui chez les Germains intéresse significativement, entre culturellement dans le champ de ce symbole ainsi que dans celui des lois structurelles de l'imaginaire sous-tendant et animant celui-ci. De constellations de symboles en lois de l'imaginaire, se dessineront et feront sens des groupes archétypiques qui permettront, par-delà l'événementiel, le factuel du symbole en soi, de voir avec quelle force, quelle exclusivité la Weltanschauung germanique obéit à la logique d'antithèse, d'exclusion brutale qui caractérise un imaginaire diurne. Je procéderai, en usant de la même méthode de travail, dans une seconde partie, à l'analyse de la civilisation celtique en terme de régime anthropologique nocturne de l'imaginaire, en raison de l'analogie logique de l'au-delà celte / logique  du régime nocturne précitée.
 En conclusion aux résultats auxquels je parviendrai au terme de chacune de ces deux grandes parties, je m'attacherai à montrer que ce travail est utilisable dans une certaine actualité, en transposant les logiques de l'imaginaire des Celtes et des Germains en diverses époques, de certains faits historiques survenus pour les Celtes et pour les Germains; puis la survivance de ces imaginaires en Europe (puis au-delà) au Moyen-Age, à l'époque dite contemporaine puis de nos jours.
 Toute dominante culturelle en termes de logique ou régime de l'imaginaire a besoin, ne serait-ce que pour éprouver,tester sa cohésion, sa solidité structurale, d'être un peu contrebalancée par des symboles, mais par des structures, appartenant à une logique autre que sa logique de référence; d'où le surgissement erratique de certains symboles isolés, presque incongrus, émanant d'une culture non dominée par les constellations symboliques, et donc par la logique d'appartenance de ce symbole. Toute civilisation est peut-être sujette à des tentations en annexant pour sa logique de l'imaginaire dominante des symboles intervenant normalement dans le cadre d'autres logiques de l'imaginaire.
 Ces remarques sont méthodologiquement fondamentales. Comment, en effet, sans le recours aux constellations symboliques et aux structures de l'imaginaire les subsumant, interpréter, justifier surtout, la présence parfois importante dans l'imaginaire d'une culture de symboles ne relevant pas de sa logique de l'imaginaire d'obédience?
 Seule une appréhension plurale et de fait interactive du symbole peut prétendre donner aux anthropologues la clef, par-delà la croûte superficielle du symbole, du psychonautisme structural qui conduit au coeur du Royaume des Mères de l'imagination. Voilà pourquoi seront donnés quelques exemples forts de symboles germaniques présents dans la logique nocturne de l'imaginaire et de symboles celtiques présents dans la logique diurne de l'imaginaire.
 Enfin, à la fin de chaque chapitre, on trouvera une liste des symboles évoqués, qui sera superposée en caractères majuscules à des listes de symboles établies par G. Durand: celles là même dont les constellations forment les structures de l'imaginaire.
 La classification des images opérée par G. Durand, par son caractère fonctionnellement dynamique, intéresse plusieurs axes, certain dynamisme transformateur de l'imaginaire, lié au fait  que l'esprit est avant tout une mouvance. Ce mouvement est pluriel, du fait que les structures de l'imaginaire (qui sont susceptibles de groupements en des structures plus générales, que G. Durand nomme Régimes) ont pour origine des trajets anthropologiques, c'est-à-dire d'incessants échanges existant au niveau de l'imaginaire entre les pulsions subjectives et assimilatrices (qui naissent dans les grands réflexes de l'être humain - de posture, de digestion et de copulation) et les intimations objectives émanant de l'environnement naturel et social; ceci en une genèse réciproque du geste et de l'environnement. 
 
PREMIERE PARTIE
L'IMAGINAIRE DES GERMAINS: LA FUREUR ET LE DESTIN
 C'est une nouvelle volonté que j'enseigne aux hommes: Vouloir ce chemin que l'homme a parcouru en aveugle et ne plus s'en détourner comme le font les malades et les moribonds. Nietzsche.
 Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Nietzsche.
 L'imaginaire des Germains est superposable au Régime Diurne de l'imaginaire, qui se définit comme la logique mentale de l'ANTITHESE (par exemple antithèse lumières-ténèbres; ou encore, autre exemple, poétique, l'opposition chez Paul Valéry d'adjectifs et de substantifs polarisés d'un côté autour du pur: soleil, jour, lumière, grand, immense, doré, divin, dur; de l'autre côté autour de l'ombre: amour, lourd, songe, profond, secret, pâle, lent, seul, triste, mystérieux). 
 
DURAND (Gilbert),  Les structures anthropologiques de l'imaginaire, 
   Dunod, Paris, 1969, p. 70.

 
 Les constellations de symboles de cette partie de l'imaginaire universel, où apparaît entièrement l'imaginaire germanique, se divisera donc tout naturellement en deux grandes parties antithétiques, la première étant consacrée au fond de ténèbres sur lequel se découpe l'éclat victorieux de la lumière, la seconde manifestant la reconquête antithétique et méthodique des valorisations négatives de la première; autant de trajets anthropologiques à explorer.
 
 Les constellations de symboles de l'imaginaire germanique permettent d'induire un régime multiforme de l'angoisse devant le temps, qui revêt successivement plusieurs visages, ou trajets anthropologiques:
 Trajet I. Le visage animal et l'agressivité de l'ogre, apparaissant à la fois comme l'animé inquiétant et le dévorant terrifiant, symboles de l'animalité renvoyant, soit à l'instant irrévocablement fugace, soit à la négativité insatiable du destin et de la mort (Ibid, p. 133.).
 Trajet II. L'angoisse devant le devenir apparaîtra ensuite comme projetant des images nyctomorphes, cortège de symboles sous le signe des ténèbres où le vieillard aveugle se conjugue avec l'eau noire, et finalement où l'ombre se mire dans le sang, principe de vie dont l'épiphanie est mortelle, coïncidant chez la femme, dans le sang menstruel, à la mort sensuelle de l'astre lunaire.
 Trajet III. La féminisation du symbolisme négatif aboutit au troisième schème terrifiant, celui de la chute. Il s'agit ici d'un transfert grâce auquel l'attitude angoissée de l'homme devant la mort et devant le temps se doublera toujours d'une inquiétude morale devant la chair sexuelle et même digestive (Ibid.).
 Mais le Régime strictement diurne de l'imagination se défie des séductions féminines. C'est une attitude héroïque qu'adopte l'imagination diurne; elle grossit hyperboliquement l'aspect ténébreux, grotesque et maléfique du visage de Kronos, afin de durcir davantage ses antithèses symboliques, de fourbir avec précision et efficacité les armes qu'elle utilise contre la menace nocturne. Ce sont les armes du combat contre le destin (Ibid, p. 134.), qui seront décrites ensuite (Trajets IV, V et VI), chemins de reconquête pris puissamment par l'imaginaire germanique.
TRAJET I - MONSTRES COSMIQUES ET DEVORATION 
Les symboles animaliers dans l'imaginaire des Germains.
 LES ANIMAUX. L'ANIME. LE FOURMILLEMENT.
 L'imaginaire germanique est si martial et vertical, antithétique donc, que son symbolisme animalier est autant gigantesque en taille des espèces que féroce. C'est pourquoi les animaux frappent ici moins par un fourmillement, activité que semblent étrangement assumer les trolls et autres gnomes, dont la petitesse sabote structuralement un symbolisme normalement dévolu aux images de l'euphémisme, puisque les nains germaniques sont grouillants et destructeurs (rapt de l'or par Alberich, qui est le tout début de la tragédie qui mènera le monde à la destruction lors du Ragnarok), que par leur unicité démesurée: ainsi, dans le symbolisme plus spécifique du loup, de la pieuvre et du serpent, les animaux remplissent pleinement un rôle dévorant chez les Germains, chez qui les symboles animaliers semblent avoir été annexés par le processus de gigantisation propre aux symboles de l'ascension, le tout bien sûr au sein du Régime de l'antithèse; le loup Fenrir et le serpent du Midgard, qui détruiront l'univers, sont d'une taille cosmique.
 A échelle normale, on note le symbolisme négatif du cerf, qui semble à la fois relever par sa férocité du symbole animalier agressif et des symbolismes ascensionnel, par ses cornes, et de la séparation, en raison du fait qu'il est tout aussi férocement traqué. Animal à la fois prédateur et chassé.
 L'AGRESSIVITÉ. LE SADISME DENTAIRE. LA GUEULE. 
 
MABIRE (Jean), Les dieux maudits (récit de mythologie celtique), 
   Copernic, Paris, 1978,  
p. 39.

 
 Le monde, selon les Germains, fut fondé par un crime. Tout commence par un meurtre. La légende ne dit pas l'origine de la querelle. Peu importe. Le fait est là, dans son impitoyable brutalité: Odin, aidé par ses frèresVili et Vé, tue le géant Ymir. De ce cadavre, va naître la planète Terre. Tout, de l'immense corps abattu par les trois dieux, doit servir. Le sol est formé de sa chair, l'océan de son sang, les montagnes de ses os, les forêts de ses cheveux, les cailloux de ses dents.
 
 Au niveau du sadisme dentaire, l'imaginaire germanique est pourvu de deux créatures inquiétantes. Chacun sait d'où vient le vent: à l'extrémité Nord du ciel se tient un terrible géant que l'on nomme en tremblant Hraesvelg, l'Avaleur-de-Cadavres. Il possède des ailes que recouvrent des plumes d'aigle. Quand il les étend et referme, le vent se forme, hurle, s'enfle (Ibid, p. 43.). La plus puissante des racines du frêne Yggdrasil, axe du monde, subit, au-dessus de Niflheim, le monde du brouillard, les morsures du gigantesque dragon Nidhug, l'Amer-Rongeur. Mais la racine gonflée de sève vivante résiste aux crocs et au venin et abrite la fontaine Hvergelmir (Ibid, p. 52.).
 C'est une gueule qui lors du combat final de la mythologie germanique tue le chef des lieux Odin: celle du loup Fenrir, évoqué plus haut à propos de la gigantisation des pires animaux de l'imaginaire germanique. Courant au combat, le loupFenrir erre dans la campagne, déchaîné. Il ouvre une gueule de plus en plus gigantesque. Sa mâchoire supérieure atteint le ciel et sa mâchoire inférieure se trouve contre la terre. Il dévore l'horizon et la terre semble trop petite pour remplir ce gouffre béant (Ibid, p. 216.). Mais surtout, Fenrir, lorsqu'il fut enchaîné par les dieux qui savaient le rôle qu'il jouerait dans le combat final, mutila d'un seul coup de gueule le bras du dieu Tyr, celui-ci ayant placé son bras entre les crocs du monstre pour lui prouver (c'était faux bien sûr) que l'on n'essayait pas de l'enchaîner, et que si les dieux voulaient accomplir ce dessein lieur (ce qui fut le cas), il aurait le droit de croquer le bras de Tyr.
SYNTHESE: 
Les symboles animaliers dans l'imaginaire germanique.
ANIMAUX. ANIMES. FOURMILLEMENT - MÉTAMORPHOSE ANIMALE - CHAOS - ENFER - CHEVAL INFERNAL - GALOP. RUGISSEMENT. MUGISSEMENT - TAUREAU - AGRESSIVITÉ - SADISME DENTAIRE - GUEULE - CRI ANIMAL - LOUP - LION - ÉCLIPSES.
 Constellation très riche entre le chaos, ou la destruction inéluctable du monde, et les animaux, qui sont surtout des loups.
TRAJET II - NUIT NOIRE, MUTILATIONS ET LIAGES 
les symboles de l'obscurité dans l'imaginaire des Germains.
 LES TENEBRES. LA NUIT NOIRE. 
 
DURAND (Gilbert), Opus cité, p. 99.
TACITE,   Germania, 
   Les Belles Lettres, Paris, 1949, XLIII.
Cité par REYNOLD (Gonzague de), Le monde barbare II. Les Germains, 
   Plon, Paris, 1953, p. 285.

 
 La nuit est sacralisée: la Nôtt scandinave, traînée dans un char par des coursiers sombres, n'est pas une vaine allégorie mais une redoutable réalité mythique.
 Cette noirceur de la nuit fut utilisée à des fins guerrières, puisque l'on peut lire dans la Germania de Tacite, à propos des Haries, établis sur le cours supérieur de l'Oder: Ils sont farouches et ils ajoutent à leur sauvagerie naturelle en empruntant les secours de l'art et du temps qu'il fait: leurs boucliers sont noirs, leurs corps barbouillés. Pour combattre, ils choisissent les nuits noires, et, par horreur seule et l'ombre qui enveloppe cette armée funèbre, ils portent l'épouvante chez l'ennemi. Personne n'est capable de soutenir cette vue étrange et comme infernale, car dans toute bataille les yeux sont les premiers vaincus .
 
 
 LA CÉCITÉ. L'INFIRMITÉ. LA MUTILATION.
 L'infirmité n'est jamais de naissance, et résulte toujours d'une blessure. Il a été vu plus haut ce qu'il advint au bras de Tyrsacrifié dans la gueule du loup Fenrir pendant que les dieux enchaînaient ce monstre, qui tua quand même Odin; mutilation résultant d'un sacrifice inégal, où les dieux, immédiatement et à posteriori avec le ragnarok, furent perdants.
 Sans nous cacher l'ambivalence que recouvre la personne falote du vieux roi; encore toute proche de la majesté et de la puissance, c'est cependant la caducité, l'aveuglement, l'insignifiance, voire la folie, qui prévaut ici et qui, aux yeux du régime Diurne de l'image, teinte ici l'inconscient d'une nuance dégradée, l'assimile à une conscience déchue (DURAND (Gilbert), Opus cité, p. 102.).
 On ne saurait mieux caractériser l'acte de Tyr, qui montre une fois de plus la suprématie des forces dévorantes, donc destructrices du temps et de la mort, au sein de l'antithèse prégnante dans l'imaginaire germanique.
 Le cas d'Odin est très connu. Après avoir offert un de ses yeux à la fontaine de Mimir, Odin sera borgne. Mais par cette mutilation volontaire, il aura acquis la connaissance absolue. L'oeil qu'Odin laisse en gage dans la fontaine de Mimir n'est autre que le soleil. Chaque soir, il s'enfonce dans l'onde de la source, comme l'astre du jour dans les eaux de l'océan.
 LE FIL. LE LIEN.
 Le lien est on ne peut plus inquiétant, omniprésent. C'est un symbole majeur. Il est lié à la figure omniprésente du Destin. Celui-ci est tissé par les Nornes. Ces affreuses filandières, qui tissent sur un métier fait d'ossements, un fer de lance pour navette, les entrailles des hommes tendues par des têtes de morts, arrachent brutalement leur horrible toile. 
 
GILBERT (Max), Les Normands et l'influence nordique en France, 
   2ème partie, les dieux normands, L. Durand et fils, 
   Fécamp, 1946, p. 42.

 
 D'autre part, chez les Germains, pour qui le rituel de mise à mort était la pendaison, les déesses funéraires hélaient les morts avec une corde (Ibid, p. 118.). Un héros germanique s'écriera: Les lacets de Héla vinrent étroitement s'attacher à mes flancs; je voulais les rompre, mais ils étaient trop forts. Libre, il est si facile de marcher.
 
 
 
SYNTHESE: 
Les symboles nyctomorphes dans l'imaginaire germanique.
TENEBRE. NUIT NOIRE - OREILLE - CÉCITÉ. INFIRMITÉ. MUTILATION - OMBRE - MIROIR - EAU SOMBRE. STYMPHALISATION - DRAGON - LARMES - CHEVELURE - SANG MENSTRUEL - LUNE INSTABLE - MERE TERRIBLE - GOULE - FEMME FATALE - ARAIGNÉE - HYDRE - MER - PIEUVRE - FIL. LIEN - CHAIR. TACHE SANGLANTE. SOUILLURE.
 Riches constellations ténèbres-infirmité-dragon-eau-sombre-larmes, mer-lien-pieuvre et sang menstruel-lune instable. 
 
TRAJET III - ABIME ORIGINEL ET FAUTE DIVINE 
Les symboles de chute dans l'imaginaire des Germains.
 La chute condense et résume les aspects dangereux du temps.
 LA CHUTE.
 Lorsque Odin, le chef des dieux, vit pour la première fois rôder le serpent de Midgard, il le précipita dans l'océan, où il se développa pour devenir un monstre d'ampleur cosmique. D'autre part, quand les dieux aperçurent Hel pour la première fois, ils décidèrent de la précipiter, la tête la première, dans Niflheim, le monde des brouillards. Puis la fille de Loki et d'Angerboda sut se constituer son propre domaine à Helheim (MABIRE (Jean), Opus cit, p. 139.).
L'imaginaire germain traita donc défensivement ses monstres par la précipitation dans l'abîme ou par l'isolation (Fenrir), en vain toujours. Ce fut inefficace: Le serpent de Midgard sortit de l'océan pour le combat final, et Hel refusa de relâcher le défunt dieu Balder chu dans son royaume infernal car assassiné et non guerrier. Mais surtout, la cosmogonie germanique elle même repose sur un catamorphisme, un accident géologique vertical: l'abîme originel.
 Au commencement ne régnait qu'un néant infini. La première image du monde sacré est un précipice. Il porte le nom deGinungap: l'Abîme-Béant. Une chute sans fin entre des parois invisibles qui n'ont ni forme ni couleur. Le vide éternel (Ibid, pp. 35-36.).
 Ce qui est formidable pour le propos poursuivi, c'est que de ce catamorphisme (image de chute) de base va émerger, fondamentale, fondatrice, décisive, en amont de tout, l'antithèse: cosmogoniquement toujours, après l'abîme, une impression s'affirme. Le chaud et le froid. Ce sera le début de tout. La vie, désormais, va se trouver partagée entre ces deux forces que sépare Guinungap: la glace et le feu (Ibid, p. 36.).
 On voit ici combien l'environnement géographique et climatique fut décisif dans la constitution des structures de l'imaginaire germanique.
 L'INTESTIN-GOUFFRE.
 Une nouvelle fois capturé par les Ases pour être puni, Loki est ligoté sur trois pierres tranchantes disposées horizontalement avec, en guise de corde, les intestins de son fils Nari, qui vient d'être tué sous ses yeux. Une des pierres se trouve sous ses épaules, l'autre sous ses reins et la troisième sous ses genoux. Les intestins de son fils les y arriment, serrés tels des cordages métalliques.
 A noter ici que l'intestin n'est pas lié au gouffre, à l'intériorité du corps, à un endroit labyrinthique, mais à un symbole non plus de chute mais de ténèbres, convoquant le symbole du lien, lequel affirme ainsi son importance au sein de l'imaginaire germain, puisque allant même jusqu'à annexer d'autres familles symboliques au coeur toujours du régime de l'antithèse, ou diurne. 
 
SYNTHESE: 
Les symboles catamorphes dans l'imaginaire germanique.
CHUTE - VERTIGE - PESANTEUR - ÉCRASEMENT - SERPENT - FAUTE ORIGINELLE - CHAIR SEXUELLE. CHAIR DIGESTIVE. VENTRE - INTESTIN-GOUFFRE.
 La cosmogonie germanique est fondée par un catamorphisme: l'abîme originel. 
 
TRAJET IV - VERTICALITÉ ET MONARCHIE CÉLESTE 
Les symboles d'ascension dans l'imaginaire des Germains.
 Pendant que l'imagination projette l'hyperbole effrayante des monstres de la mort, en secret elle aiguise les armes qui terrasseront le Dragon (DURAND (Gilbert), Opus cit, p. 135.); c'est-à-dire la Mort et le Temps.
 Les homologues antithétiques des visages du Temps sont constitués par trois grands trajets de l'imaginaire, qui établissent de plus une structure profonde de la conscience, amorce d'une attitude morale et métaphysique:
 1) le trajet ascensionnel, 
 2) le trajet lumineux-céleste, 
 3) le trajet séparateur (diaïrétique)
 semblent bien être le contrepoids fidèle:
 1) de la chute, 
 2) des ténèbres, 
 3) de l'animalité féroce et lourde (thériomorphisme).
 Ces trajets correspondent aux grands gestes constitutifs des réflexes posturaux du nourrisson: verticalisation, et effort de redressement du buste, vision d'autre part, enfin tact manipulatoire permis par la libération posturale de la main humaine (Ibid, p. 136.).
 Est ainsi délimité un mode d'imagination et de représentation en général: vision d'un monde de visualisation, de définition et de rationalisation dominé par le mécanisme mental de la séparation.
 LA GIGANTISATION.
 Les géants sont nombreux, un des neuf mondes créés leur appartenant: Jotunheim. Le premier être émergeant cosmogoniquement de l'abîme primordial est un géant bête, affreux et stupide: Ymir 
(MABIRE (Jean), Opus cit, p. 37.).
 Les géants sont les plus grands ennemis des dieux, pis encore que les nains. Avec les monstres et Loki, ils combattront victorieusement lors du Ragnarok. Dans cette victoire, ils périront en fait: mort des bons comme des mauvais, ainsi qu'à la fin de la tragédie Hamlet, qui peut-être hérita du fatalisme actif germano-scandinave. On sait d'ailleurs que la célèbre pièce de Shakespeareesthétisa un très vieux mythe danois: Amleth. Odin lui-même est représenté comme un vieillard de haute stature (Ibid, p. 61.). 
 
 LA CONTEMPLATION MONARCHIQUE. SOUVERAINE DOMINATION. 
 CLIVAGE FONCTIONNEL DE LA ROYAUTÉ (magique, sacerdotal juridique).
 Conformément au symbolisme de l'antithèse, la puissance apparaît d'abord comme royale. Il y a clivage fonctionnel de la royauté. Toute puissance souveraine est triple puissance: sacerdotale et magique d'une part, juridique de l'autre et militaire. Pour la Germanie ou la Scandinavie, Dumézil a fort bien montré la bipartition du souverain en flamen d'une part, en rex d'autre part. Elle se retrouve dans le dédoublement germanique d'Odhin le magicien et de Tyr le juriste. Odhinest un roi prêtre, un roi sorcier, un roi chamane. Odhin, de plus, semble être le prototype du monarque terrestre; il est appelé le Dieu  du chef, c'est une divinité aristocratique réservée à certaines couches sociologiques raréfiées. Le tripletOdhin-Ullin-Tyr masque en réalité l'indissoluble triplicité fonctionnelle de la monarchie et de la souveraine puissance, l'exécutif étant difficilement dissociable du judiciaire dans la conscience commune (DURAND (Gilbert), Opus cit, p. 22.). 
 
ELIADE (Mircêa),  
Traité d'histoire des religions, 
   Payot, Paris, 1964, p. 99.

 
 
Spatialement, Odin est en pleine contemplation monarchique: quand il ne chevauche pas, Odin revient dans son palais d'Asaheim, et s'assoit sur son haut-siège, Hlidskjalf, pour contempler l'univers. Ainsi, chaque jour, au-dessus de la création, dominant la voûte du ciel, Odin observe ce que deviennent les dieux et les hommes. Rien n'échappe à son oeil unique et à ses oreilles attentives. La moindre parole, le moindre geste, le moindre souffle de vent, tout parvient jusqu'à ce trône invisible.
 
SYNTHESE: 
Les symboles ascensionnels dans l'imaginaire germanique.
ESCALIER. ÉCHELLE - MONTAGNE - TERTRE SACRE - BETYLE - AILE - ALOUETTE. AIGLE. CORBEAU. COQ. COLOMBE - PURETÉ - FLECHE - ANGE - RAYON - TIR A L'ARC - GIGANTISATION - SOUVERAINE CONTEMPLATION MONARCHIQUE - SCEPTRE. VIRILISATION. PATERNITÉ - CLIVAGE FONCTIONNEL (sacerdotal, juridique, magique) DE LA ROYAUTÉ - CIEL - CULTE DES CRANES - TETE DRESSÉE - PÉNIS EN ÉRECTION - MAIN - QUEUE - CORNE - AMULETTE. TROPHÉE TOTÉMIQUE. TALISMAN - CHASSE A COURRE. CORRIDA - BAPTEME.
 Constellations ciel gardé-oiseaux acuitifs-arc-en-ciel protégé-contemplation monarchique qui annoncent une hyper-représentation des symboles diaïrétiques (de séparation armée). 
 
TRAJET V - OEIL ET OMNISCIENCE 
Les symboles de la lumière dans l'imaginaire des Germains.
 L'imagination du zénith appelle les images complémentaires de l'illumination sous toutes ses formes (DURAND (Gilbert), Opus cit, p. 62.).
 L'OEIL.
 Le père des dieux, Odin, a volontairement fait le sacrifice d'un de ses yeux (qui, isomorphisme avec le symbolisme solaire, est devenu le soleil) à la fontaine Mimir pour acquérir la science magique des runes. Cela semble typique de la valorisation antithétique de l'oeil. L'extrême valorisation intellectuelle et morale de l'organe visuel entraîne son ablation. Processus de renversement des valeurs par le sacrifice. Odin est aussi le dieu espion, qui scrute le monde du haut de son trône céleste par contemplation monarchique et qui descend quelquefois voir comment vivent et complotent humains, géants et nains. L'oeil d'Odin n'a aucun pouvoir offensif en soi; il témoigne de la révélation d'une connaissance dispensant celui qui la possède de se plonger dans le réel pour agir sur les êtres et les choses. Cet apragmatisme constitue une des données structurales de la logique d'antithèse de l'imaginaire.
 L'oeil est lié antithétiquement à une certaine inflation des qualités spirituelles chez les Ases (les dieux du ciel) réactionnellement à la menace matérielle constituée par monstres et géants. L'oeil d'Odin ne sera pas suffisant à empêcher la victoire finale du mal. L'imaginaire, au niveau de sa gestion, capotera en raison de la contamination d'une partie de cette spiritualité hyper-défensive: la ruse malfaisante du dieu Loki; et certainement aussi la trop grande mansuétude d'Odin à l'égard de ce dieu diabolique, d'étranges liens de sang les unissant. Cf. Hamlet (en raison de l'analogie Hamlet-pessimisme germain tentée plus haut, et pourquoi pas, par une analogie mythique Odin-Hamlet) shakespearien ruminant:Un seul atome d'impureté perdra la substance la plus noble par son contact infamant; et également Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark, ce qui pourrait être repris ici en Il y a quelque chose de pourri au royaume des Ases: Loki.
 Chez les Germains antithétiques, IL FAUT PAYER LE PRIX d'un oeil pour acquérir la connaissance des choses cachées; alors que chez les Celtes il n'est nul besoin de s'auto-mutiler: la connaissance des choses cachées (de l'Autre Monde) est spontanément offerte aux vivants grâce à une bonne régulation entre le monde des morts et le monde des vivants, les problèmes surgissant, qui altèrent la continuité de ces échanges, s'il survient une mutilation chez celui qui est chargé, à la manière d'un gardien d'écluses, d'assurer le bon déroulement, l'équilibrage de cette communication vie-mort.
 Ce qui chez les premiers est condition sine qua  non pour connaître le Tout, accéder aux pouvoirs occultes, est, chez les seconds, accident contrariant désastreusement (car le royaume entier peut alors pourrir, telle la gaste forest dont il est question dans le Perceval de Chrétien de Troyes).
 Cela prouve, et c'est dans le Légende des Nibelungen l'élément déclenchant de la série de catastrophes qui aboutiront au Ragnarok, à savoir le rapt de l'Or du Rhin, que l'imaginaire germanique, façonné (par l'environnement géographique réel) de manière entièrement antithétique, comportait dans son caractère absolu les germes de son autodestruction, puisque celle-ci semble être le passage obligé qui mène au savoir. Il y a coupure entre le monde germanique des vivants et le monde germanique des morts. Cette absence de communication entre ces deux mondes génère de terrifiants retours du refoulé qui détruiront la conscience: Fenrir, les géants, le serpent de Midgard. L'imaginaire germanique est structuralement suicidaire, programmé pour s'auto-détruire par retour brutal d'un irrationnel vainement refoulé à grands frais énergétiques et parce que non gérable, devenu fou.
 La nécessité germanique de se prémunir antithétiquement contre un irrationnel jugé trop inacceptable, suprêmement dangereux, contraste avec celle des Celtes, qui entretiennent des rapports harmonieux avec cet irrationnel (l'Autre Monde, dont les portes s'ouvrent régulièrement). 
 
SYNTHESE: 
Les symboles spectaculaires dans l'imaginaire germanique.
LUMIERE INCOLORE, DORÉE. AZUR - BLANCHEUR - SOLEIL SURTOUT ASCENDANT OU LEVANT - ORIENT - COURONNE SOLAIRE - AURÉOLE - TONSURE - OEIL - PAROLE - PNEUMATISME - ÉCRITURE (emblème pictographique et phonétisme).
 Faible représentation symbolique mais puissante constellation oeil-parole-écriture. 
 
TRAJET VI - GUERRE ET FEU 
Les symboles de la séparation armée dans l'imaginaire des Germains.
 La clarté est accompagnée par les procédés de la distinction. Toute transcendance s'accompagne de méthodes de distinction et de purification  
(Ibid, p. 178.).
 Schèmes et archétypes de la transcendance exigent un procédé dialectique: l'arrière-pensée qui les guide est arrière-pensée polémique qui les affronte à leurs contraires (Ibid.).
 LA PAROLE.
 Après avoir tué le dragon Fafnir et s'être baigné dans le sang de celui-ci, le héros Siegfried comprend divinatoirement le langage des oiseaux. Odin est quelquefois surnommé le dieu du bien dire, et le dédoublement du rex, cher aux thèses duméziliennes, laisse apparaître une spécialisation d'une moitié de la puissance royale en faculté de bien dire, d'appeler correctement les choses. 
 La parole sert ici à différencier antithétiquement du chaos dévorant du sens, et donne le pouvoir (ou plutôt la possibilité) de représenter ce chaos sans être mangé par lui. Ayant acquis la science parlée et écrite des runes, Odin peut, par un surinvestissement tout-puissant de la pensée, agir sur les choses mentalement, magiquement; ce recours à la toute-puissance de la pensée étant déterminé à la fois par le contexte de la lutte contre l'informe dévorant et par le fait qu'il fournit une arme efficace car complètement opposée à ce qu'elle combat.
 Ici comme ailleurs, la structure détermine les modalités défensives de sa préservation, de son homéostasie, en fonction même de sa structuralité.
 LA TRANSCENDANCE ARMÉE.
 Les armes sont pleinement séparatrices. Les grands dieux ouraniens, qui combattront les géants lors du Ragnarok, en sont massivement pourvus. Il n'est pas exagéré de dire que pour les Germains, une divinité semble en premier lieu être déterminée par l'arme dont elle est nantie; ainsi un javelot magique pour Odin le dieu magicien (dieu à distance par contemplation monarchique, équipé donc d'une arme frappant à distance); ainsi un marteau pour Thor le brutal (dieu physique, matériel, animal, doté donc d'une arme grossière, proche de la massue, servant aux combats rapprochés, ce marteau pouvant certes quelquefois être projeté à distance, mais il n'en est pas ainsi dans le combat final contre le serpent de Midgard).
 CLOTURES. REMPARTS. FOSSES. MURS. DISCONTINUITÉ.
 Murs et remparts promouvaient effectivement, dans un réel d'architecture militaire comme dans l'imaginaire, un discontinu à des fins défensives. 
 
COHAT (Yves), Les Vikings rois des mers, 
   Gallimard, Paris, 1987,  
p. 56.

 
Au niveau de l'architecture militaire réelle, exemple fameux, situé dans le Nord-Est du Jutland, à quelques kilomètres de la ville de Hobrol, le camp de Firkat est l'une des quatre forteresses danoises connus. Il était édifié en un lieu stratégique, sur un promontoire dominant le fleuve Cnsild, qui donne accès à la mer. La garnison cultivait les champs alentour et enterrait ses morts dans des cimetières proches des remparts .
 
 Au niveau de l'imaginaire, les murs et les cloisons protégeaient de divers dangers. Endormie par Odin, la WalkyrieBrunnehilde dort dans une salle protégée par un cercle de feu infranchissable. Le héros Siegfried, lui, se trouva un jour devant un château aux murs recouverts de boucliers.
 MÉTAPHYSIQUE DU PUR. SPIRITUALISATION.
 La métaphysique du pur et la spiritualisation se traduisirent juridiquement par un incroyable souci d'ordre, de clarté, à travers des traités de lois couvrant toutes les éventualités négatives de l'existence; mythiquement, la Walkyrie Sigrdifaenseigna par exemple au héros Sigurd un véritable Code d'Honneur, dont les Germains firent un ensemble de règles guidant leur vie terrestre. 
 Pourquoi une codification minutieuse qui vise à parer toute éventualité, pourquoi une passion de l'ordre, de l'organisation, pour faire échec aux dangers du chaos, puisque le destin de tout et de tous est déjà écrit? Défenses inutiles?
 Peut-être pas. Énergiques, passionnés d'ordre, animés par un fatalisme  actif, les Germains ont considéré dans un même mouvement formidablement dynamique même si intrinsèquement clivé en du bon et du mauvais le signifiant Destin contraignant, asservissant, dévorant au sens animalier, comme vu plus haut, et la lutte contre ce Destin, laquelle est devenue LUTTE AVEC LE DESTIN.
 Cette gestion, ou accompagnement, de l'inéluctabilité d'une destinée mortelle a été signifiée et a échoué, même si composant un système cohérent, dans la finalisation d'un anéantissement cosmique: le Ragnarok. Le couplage tenace a néanmoins persisté au-delà du Ragnarok, puisque sera un renouveau, certes ensuivi d'autres destructions de l'univers. Aucune des forces ne veut céder: le Destin tient l'homme, mais l'homme est résolu à aller jusqu'au bout de cette étreinte mortelle, tout comme les Germains observèrent certainement avec stupéfaction l'obstination végétale et animale au sein d'un univers climatique hostile à la vie, posant le problème quotidien de la survie.
 L'imaginaire germanique est donc torsé sur lui-même. Clivé au-dedans, il ne peut se résoudre à changer ce clivage en conciliation comme chez les Celtes, car ce clivage est fondateur et fonctionnel.
SYNTHESE: 
Les symboles diaïrétiques (= de séparation armée) dans l'imaginaire germanique.
TRANSCENDANCE ARMÉE - OUTILS ARATOIRES - DIEU COMBATTANT MANIEUR D'ARMES TRANCHANTES - CHEVALERIES. SOCIÉTÉS D'HOMMES OU DE GUERRIERS - MONTURES ANIMALES - ARMES PROTECTRICES DU HÉROS - CUIRASSES - CLOTURES - REMPARTS. FOSSES. MURS. DISCONTINUITÉ - RITES DE COUPURE - LIMPIDITÉ DE L'EAU LUSTRALE. APERSION - FRAICHEUR DE L'EAU LUSTRALE - NEIGE - FEU. BRULURES - ÉCLAIR - INCINÉRATION - AIR. OISEAU - AME - MÉTAPHYSIQUE DU PUR. SPIRITUALISATION.
 Hyper-représentation. Presque tous les symboles constellent, remplissant significativement tout le registre séparateur. Véritable inflation du conflit armé et séparateur dans l'imaginaire (et dans la réalité!) germanique. Rôle majeur d'auto-conservation et de différenciation face à une triple menace thériomorphe nyctomorphe et catamorphe. Hyper-protection. Surarmement face à la menace originelle d'un anéantissement cosmique voué à se répéter désastreusement.
EXEMPLE D'OPPOSITION DE LOGIQUE DE L'IMAGINAIRE, par-delà LE SYMBOLE:
 LE CULTE CELTIQUE DES CRANES,  
 Nocturne, utilise une logique normalement Diurne:
 La tête, le crâne, le cerveau ont chez les Celtes, en rapport avec le rôle d'équilibrateur du roi celte, une fonction médiatrice de contenance d'énergie (celle circulant, grâce à des échanges perméables entre le monde des vivants et l'Autre Monde, entre les vivants et les défunts, c'est-à-dire les ancêtres), et de gestion équilibrée de celle-ci.
 La tête est donc tout naturellement liée à la mort, à l'au-delà: comme le héros Cuchulainn atteignait la Terre des Ombres (= l'Autre Monde), il vit sur sept murs une palissade en fer, sur laquelle sept têtes étaient fichées. Ces têtes avaient, puisque situées à l'entrée ou frontière de l'Autre Monde, certainement un rôle de médiation des échanges d'âmes entre la contrée des morts et celle des vivants. 
 
Revue Ogam - Tradition celtique, Rennes,  
10, 13, p. 130.

 
Les celtes, aussi bien en Irlande que sur le continent, coupaient la tête de l'ennemi vaincu en combat singulier. Cette coutume a une base religieuse car, suivant le dieu médecin Diancecht, la résurrection ou la guérison sont possibles tant que les organes essentiels (cerveau, moelle épinière, membranes du cerveau) ne sont pas atteints.
 
 La cervelle est un substitut de la tête complète dans un texte moyen-irlandais.
C'était la coutume des Ulates en ce temps-là, pour chaque guerrier qu'ils tuaient en combat singulier, d'enlever les cervelles des têtes et de les mélanger à de la chaux jusqu'à ce qu'elles devinssent des balles dures (Ibid.). 
 
MARKALE (Jean), L'épopée celtique d'Islande, 
   Payot, Paris, 1971, p. 70.

 
C'est la cervelle du roi Leinster qui, traitée ainsi, sert à un guerrier du Connaught à blesser mortellement à la tête le roi Conchobar ( Ibid, pp. 129-138.): Conall défie les autres guerriers de le combattre alors qu'il a une arme redoutable à sa disposition, la cervelle de Mesgegra, c'est-à-dire une balle de fronde pétrie avec la cervelle du malheureux roi. Personne n'ose contredire Conall. Et Conall remet la cervelle de Mesgegra sur l'étagère où elle est habituellement. Cêt, guerrier de Connaught, s'empare  de la cervelle et cherche une occasion de tuerConchobar. Cêt lui lance la cervelle et celle-ci entre aux deux tiers dans la tête de Conchobar. Le médecinFingen vient à son chevet: Si on ôte cette pierre, dit-il, tu mourras aussitôt. Si on ne l'ôte pas, je te guérirai, mais tu resteras difforme. Conchobar mourut en coupant du bois. Sous la violence de cet effort, la cervelle deMesgrega jaillit de sa tête et sa propre cervelle se répandit.
 
 Cette utilisation de la cervelle chez les Celtes est fort troublante. Elle montre que l'âme d'un vivant comme celle d'un mort réside dans une cervelle, même celle d'un cadavre (car Conchobar avait tué Mesgrega, et il était prédit que ce meurtre serait vengé de fort étrange manière). Crâne-réceptacle de l'énergie des morts, des ancêtres, à la façon d'un contenu euphémisant, peut-être réduction, miniaturisation microcosmique de l'Autre Monde (= le royaume des morts); les vivants, quant à eux, menant une quête réelle géographique, qui est en même temps une quête intérieure peut-être représentée comme une expédition dans la tête anatomique, une auto-exploration de l'esprit. Ces interprétations concordent pleinement avec les différents types, qui confluent en fait, de Quêtes qu'accomplissaient les Celtes: Quêtes de l'Autre Monde, de la Femme,  du Graal, etc... Rien de verticalisant dans tout cela. L'importance du crâne autorisa un culte important des crânes (équivalent chez d'autres peuples à une vénération des sépultures et à des soins corporels prodigués aux défunts), sans doute issus d'une pratique remontant au-delà du groupement indo-européen, ce qui scelle l'aspect euphémique de ce symbolisme, les Pré-indo-européens étant considérés comme des peuplades matriarcales.
 
DEUXIEME PARTIE
L'IMAGINAIRE DES CELTES: LA FUSION ET LE DEVENIR.
 
  
  
  
  
 
 D'une manière générale, l'imaginaire des Celtes se définit comme régi par une logique d'euphémisme et de totalisation des opposés.
 Au régime héroïque de l'antithèse des Germains va succéder le régime plénier de l'euphémisme des Celtes. 
 
TRAJET I - DESCENTE ET FÉMINITÉ
 Les symboles de l'inversion (= descente, richesse, petitesse) des Celtes.
"Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères, 
Des divans profonds comme des tombeaux" Baudelaire
 Nous allons retrouver tous les visages du temps de l'imaginaire des Germains, mais comme exorcisés des terreurs qu'ils véhiculaient, transmués par l'abandon du régime de l'antithèse. Ce symbolisme exorcisé du temps sera, électivement, celui de l'imaginaire celtique, tant par la surface symbolique que par la structure.
 Le but que se proposent les constellations symboliques celtiques est la pénétration d'un centre. Technique de creusement: mais ce chemin vers le centre sera à la fois, ou alternativement selon les cas, la voie la plus facile, la plus accessible et comme conservant un accent de l'enthousiasme ascensionnel, mais aussi le sentier difficile, méandreux et labyrinthique (DURAND (Gilbert), Opus cité, p. 226.). 
 Le premier mouvement de l'imaginaire celtique est l'euphémisme. 
  
 
LA MULTICOLORATION.
 Chez les Celtes, la multicoloration apparaît dans une représentation gemmeuse et maritime de l'Autre Monde. 
 
MARKALE (Jean), La tradition celtique en Bretagne armoricaine, 
   Payot, Paris, 1978, p. 143.

 
 Un conte folklorique, constellant avec le symbole intimiste du fruit, surabondant dans l'Autre Monde, et le symbole de la digestion qui est aussi une procréation, fait état d'une jeune fille qui, après avoir mangé une étrange pomme rouge obtenue par magie, donne le jour à un garçon de trente-sept couleurs! 
 
 
 
LA GRANDE MERE. 
 
VRIES (Jan de), La religion des Celtes, 
   Payot, Paris, 1977, p. 146.

 
 Chez les Celtes, le nombre des déesses-mères est étonnant.
 
 On est frappé par le nombre de cas où des dieux, autant que des humains, sont nommés par leur ascendance maternelle (Ibid, p. 147.).
 Les traces de la structure matriarcale, ceci en étroit rapport avec les structures de l'imaginaire, sont plus nombreuses et plus nettes que chez les Germains. On peut en conclure que les éléments autochtones et néolithiques sont entrés pour une plus forte proportion dans le peuple celte que dans celui des Germains (Ibid, p. 148.).
 Le culte de ce genre de divinités-mères était connu des Indo-Européens. Quand ils devinrent, dans l'Ouest de l'Europe, un groupe distinct, les Celtes avaient donc hérité de leur passé indo-européen un tel culte; on suppose qu'il a seulement été intensifié quand ces peuples ont rencontré dans leur nouveau pays une religion du même genre, s'adressant à des Puissances féminines de la nature et profondément enracinée (Ibid, p. 126.). 
 
MARKALE (Jean), La femme celte, 
   Payot, Paris, 1979, p.57.

 
 La société celtique, présentant une foule d'archaïsmes, dûs en grande partie à l'apport autochtone recueilli et intégré par les Celtes à l'arrivée en Occident, est à mi-chemin entre les sociétés de type "paternaliste", agricoles et structurées sur la possession de la terre par le Père de Famille, et les sociétés dites de "matriarcat", dans lesquelles la Mère, ou la Femme en général, est encore le lien fondamental de la famille et le symbole de la fécondité.
 
 Ainsi l'exploration de l'Autre Monde rejoint ce culte matriarcal pré-indo-européen. Tout l'imaginaire celtique s'axa structuralement dans ce dessein. Nostalgie des plus vieux dieux (des déesses). La civilisation celtique s'offre l'image d'un être collectif mal sevré par les déesses-mères, et de fait retournant compulsivement à elles par l'Autre Monde.
 La déesse-mère primordiale porte en Irlande le nom de l'art: Dana; elle est la mère des dieux (Thuatha Dé Danann: tribus de la déesse Dana).
 La femme joue apparemment un grand rôle dans les conceptions religieuses celtiques, tant par son rôle de messagère que par celui de détentrice exclusive de la souveraineté, en même temps qu'elle est une divinité guerrière. G. Durand parle de reste inquiétant, agressif, chez les déesses-mères du régime euphémisant de l'imaginaire.
 Les lieux aquatiques sacrés étaient des orifices utérins de la Terre-Mère, invoquée sous des noms et des aspects différents. Il existe de nombreuses inscriptions gallo-romaines adressées à Matronae, la Mère représentée sous la forme de la triade. Ce modèle revient souvent dans l'art et dans la littérature celtique, chargé d'enfants, de cornes d'abondance et de corbeilles de fruits. 
SYNTHESE:
Les symboles de l'inversion dans l'imaginaire celtique.
RICHESSES. FÉCONDITÉ. PROFONDEUR AQUATIQUE OU TELLURIQUE - LENTEUR - - VENTRE DIGESTIF, SEXUEL - INVERSION EUPHEMISANTE. DOUBLE NÉGATION - AVALAGE. AVALEUR AVALE. REDOUBLEMENT - NAIN - CHAPEAU - POISSON - NUIT DOUCE, INTIMISTE - NÉCROPHILIE - PRISME. GEMMES - VERT - TEINTURES - COULEUR. MULTICOLORATION - TISSAGE. ROUET - MÉLODIE - MER AVALEUSE - MATERNITÉ, PASSIVITÉ DE LA TERRE - SENTIMENT PATRIOTIQUE - GRANDE MERE. 
 
 Constellations 
 1) richesses-lenteur  
 2) gemmes-couleurs  
 3) maternité de la terre-morts-fertilité, 
qui annoncent une formidable représentation des symboles de l'intimité dans l'imaginaire des Celtes. 
  
  
 
TRAJET II - AU-DELÀ ET DOUCEUR
Les symboles de l'intimité dans l'imaginaire des Celtes.
"Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent ?" Goethe
"La vraie voie mène vers l'intérieur" Novalis
LA MORT DOUCE.
 Chez les Celtes, en raison de leur conception de l'Autre Monde, la mort est intimiste par excellence, de manière sans doute privilégiée au sein de tout l'univers indo-européen (et même au-delà).
 L'Autre Monde n'est que repos et intimité. César nota que les Celtes ne redoutaient aucunement la mort, qui n'est qu'une nouvelle vie dans un ailleurs spatial, parmi beaucoup d'autres, et sans craindre les affres d'une éventuelle réincarnation en une créature supérieure ou inférieure selon les fautes et ses mérites passés comme chez les Indiens Védiques. 
 
GREGOIRE (François), L'au-delà, 
   P.U.F., Paris, 1956, p.23.

 
 Selon Grégoire (39), de toute conception de l'au-delà se dégagent trois enseignements principaux:
 1) l'universalité, dès les temps préhistoriques et dans les civilisations les plus arriérées, de la croyance en un monde d'après-mort;
 2) le caractère extrêmement matériel et concret des représentations de ce monde;
 3) l'impression que la croyance en un au-delà constitue une sorte de réaction vitale, neutralisant la notion de disparition et la transmuant en source d'action supplémentaire pour les vivants: cérémonial de sépulture, recherche des "responsables", offrandes, cultes des ancêtres, préparation rituelle au passage dans l'autre monde, nécromancie... il y a là toute une activité tendant à atténuer, chez le vivant, la notion d'un "arrêt d'être" définitif.
 
 Les Celtes comme les Germains n'échappent  pas à ces règles, même si leur gestion de la mort est radicalement différente.
 Tous deux neutralisent la disparition du vivant et font preuve d'une activité rituelle visant à entérimer cela. Mais si, dans l'un comme dans l'autre cas, il s'agit d'éviter au mort de se perdre dans le néant, la conception de la mort, qui intéresse directement les logiques de l'imaginaire, est complètement opposée.
 Chez les Celtes, l'imaginaire a joué pleinement du point de vue fonctionnel, puisque la mort n'existe à proprement parler plus, ce qui conditionne en retour, en la majorant, sa présence dans la vie quotidienne des vivants. 
 
RENAN (Ernest), "Poésie des races celtiques", in Essais de morale et de critique, 
   Paris, 1860.

 
 Renan fit remarquer qu'un des traits par lesquels les races celtiques frappèrent le plus les Romains fut la précision de leurs idées sur la vie future, leur penchant pour le suicide, les prêts et les contrats qu'ils signaient en vue de l'autre monde. Les peuples plus légers du Midi voyaient avec terreur dans cette assurance le fait d'une race mystérieuse, ayant le sens de l'avenir et le secret de la mort.
LE BRAZ (Anatole), La légende de la mort chez les Bretons armoricains, 
   Laffite reprints, 1987, pp. XVIII-XIX.

 
 
 En effet, aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire des Celtes, la préoccupation de l'au-delà semble avoir exercé sur leur imagination un prestige vraiment singulier. César nous montre les Gaulois se réclamant, sur la foi des druides, de la paternité du dieu de la mort et faisant profession d'en être tous descendus. De fait, il y a fondamentalement une indistinction vie / mort chez les Celtes, ce qui est, vu le contexte symbolique et structural, fondamental, centralement intimiste et, partant, euphémisant.
DEROLEZ (R. L. M.), Les dieux et la religion des Germains, 
   Payot, Paris, 1962, p. 59.

 
 Selon Derolez, cette continuité vie / mort ou monde des vivants / Autre Monde pourrait être d'étiologie socio-géographique: 
 Originalité religieuse de la civilisation celtique en mettant l'accent sur deux éléments concordants. 
 D'une part, une indéniable capacité mystique. Aucun autre peuple n'a d'avantage vécu en symbiose avec l'au-delà. Aucun autre peuple n'a conçu à un degré égal cet au-delà comme un ensemble de tribus à peine différentes des tribus humaines et avec lesquelles il fallait établir des rapports de voisinage, hostile ou fraternel. 
 D'autre part, ce grand fait de géographie humaine: la Celtie était à peine sur la voie de l'urbanisation. Son habitat, l'un des plus denses d'Europe, était dispersé. Le gros de la population vivait dans des petits hameaux à même la campagne, voire en plein bois, en contact direct avec le royaume des esprits, comme aux temps mésolithiques. Ainsi s'explique cette notion de voisinage direct des êtres surnaturels conçus comme des collectivités très proches.
 
 Pourquoi pas? 
 Durand n'a-t-il pas fait mention, quant à la constitution des structures anthropologiques de l'imaginaire, d'une inter-genèse entre le sujet et l'environnement, entre le sujet et l'outil, l'objet? 
 
 La finalité des Celtes étant psychologiquement ce que Jean Markale a nommé "la Ville engloutie ou le mythe celtique des origines", c'est-à-dire une aspiration nostalgique à regagner l'Autre Monde, dont la ville engloutie est un des aspects géographiques, qui est L'AILLEURS D'APRES LA VIE COMME D'AVANT LA VIE, on s'aperçoit que l'imaginaire celtique est intimement gouverné par la constellation suivante:
 DIEU DE LA MORT COMME ANCETRE PRIMORDIAL ET COMMUN:
- Vie / mort indistinctes.
- Monde des vivants / monde des morts (l'Autre Monde) indistincts.
- Aspiration à rejoindre l'intimité paradisiaque de l'Autre Monde.
- Aspiration foetale à regagner la vie in utero.
- Survivance dans la conception de l'Autre Monde et dans le panthéon du culte des déesses-mères pré-indoeuropéennes.
- Familiarité des échanges entre les vivants et les morts.
- Hyper-féminisation de l'Autre Monde, tant ses habitants que ses messagers.
 Ces divers éléments, qui montrent pourquoi l'imaginaire celtique est euphémisant, interagissent tous, sont tous connectés les uns aux autres. 
 Pour conclure ce symbole spécifique de la mort intimiste, valorisée positivement: 
 La dominante euphémisante de l'imaginaire celtique est directement en rapport avec le fait que cette civilisation a développé un système d'échanges cordiaux et continus, équilibrés, entre les vivants et les morts, chacun prenant légitimement des êtres, des trésors dans le monde de l'autre, au sein d'une harmonieuse et douce confiance mutuelle. 
 
 Par opposition, et pour compréhension rétroactive, la dominante antithétique de l'imaginaire germanique est directement en rapport avec le fait que cette civilisation a développé un système d'échanges inamicaux, violents, désespérés, intenses, vitaux, menaçants, entre les vivants et les morts, les vivants prenant l'énergie des morts par la force, de manière non tacite, brutale, déséquilibrante, afin de s'aguerrir toujours plus, trafic des morts qui continue jusque dans les provinces de l'au-delà, puisqu'Odin recrute pour son paradis guerrier ceux qui sont morts en combattant. La menace de l'anéantissement cosmique à venir inéluctablement conditionne lugubrement toute cette Weltanschaung mortuaire.
SYNTHESE: 
Les symboles de l'intimité dans l'imaginaire celtique.
MORT DOUCE - SÉPULCRE. ENSEVELISSEMENT - BERCEAU - CHRYSALIDE - BIEN-AIMÉE - ILE - CONTENANTS. CREUX. COUPE - ORGANE FÉMININ - GROTTE. CAVERNE - DEMEURE INTIME. CAVE - MAISON - CENTRE PARADISIAQUE - LIEU SAINT - MANDALA - JARDIN. FORET - FRUIT - OEUF - VENTRE - RÉPÉTITION - BARQUE - BERCEUSE MATERNELLE - PETITS CONTENANTS - USTENSILES CULINAIRES. CHAUDRON. ESTOMAC - LIEN SOURCE-BETYLE, FONTAINE-ARBRE - LAIT - POLYMASTIE DE LA GRANDE MERE - DATTIER. VIGNE. BLÉ. MAIS - MIEL - SOMA. HAOMA - VIN - OR - SEL - EXCRÉMENT.
 Constellation extraordinaire de presque tous les symboles de l'intimité, où se trouve contenu (c'est l'occasion de le dire!) l'essentiel de l'imaginaire celtique: la vie est organisée en fonction d'un au-delà paradisiaque (l'Autre Monde), empli de richesses, à atteindre; d'où le thème prépondérant chez les Celtes de la Quête.
TRAJET III - LUNE ET SPIRALE 
Les symboles cycliques dans l'imaginaire des Celtes.
 Après la descente euphémisante, l'abandon moelleux à la fusion, il s'agit pour l'imaginaire celtique de maîtriser le devenir par la répétition des instants temporels, de remporter sur le temps une victoire directe. Comment? Non plus par figures et par un symbolisme somme toute statique, mais en opérant sur la substance elle même du temps, en imposant une domestication au devenir. 
 
 Cette opération de maîtrise du temps s'effectue de deux manières possibles:
- selon que l'on fait porter l'accent soit sur le pouvoir de répétition infinie des rythmes temporels et de maîtrise cyclique du devenir (DURAND (Gilbert), Opus cité,p. 322.);
- soit au contraire que l'on déplace  l'intérêt sur le rôle génétique et progressiste du devenir, sur cette maturation appelant les symboles biologiques, que le temps fait subir aux êtres à travers les péripéties dramatiques de l'évolution (Ibid.).
 Tous les symboles de la mesure et de la maîtrise du temps vont avoir tendance à se dérouler selon le fil du temps, à être mythiques, et ces mythes seront presque toujours des mythes SYNTHÉTIQUES qui tentent de réconcilier l'antinomie qu'implique le temps: la terreur devant le temps qui fuit, l'angoisse devant l'absence, et l'espérance en l'accomplissement du temps, la confiance en une victoire sur le temps. Ces mythes avec leur phase tragique et leur phase triomphante seront toujours DRAMATIQUES, c'est-à-dire mettront alternativement en jeu les valorisations négatives et les valorisations positives des images (Ibid, p. 323.).
 La cyclicité temporelle et la mythisation dramatique intéressent préférentiellement l'imaginaire celtique, dont le "dénominateur commun", à savoir le désir d'exploration de l'Autre Monde (= le monde des morts) et de possession de ses richesses, est exalté dans le mythe, fondateur de la civilisation celtique selon J.Markale (MARKALE (Jean), Les Celtes, Opus cité, pp. 19-43.) de la ville engloutie, dont la version la plus connue est la légende de la ville d'Ys; la ville engloutie étant appelée à sourdre cycliquement puis à redisparaître (l'Autre Monde ouvre et ferme périodiquement ses "portes" aux humains), organise un mythe dramatique.
 Ce mythe est également progressiste, dans la mesure où la ville engloutie est appelée à resurgir pour toujours, tout comme le roi celte par excellence, Arthur, est voué à se réveiller de son funèbre sommeil pour conduire de nouveau les peuples celtiques.
 Double mais cohérente, continue, la logique mentale des Celtes oscille donc entre la fusion et l'union par le dépassement des opposés. 
 Du redoublement temporel à la répétition temporelle (cyclicité), il n'y a qu'un pas, que franchit allègrement l'imaginaire des Celtes.
SYNTHESE: 
Les symboles cycliques dans l'imaginaire celtique.
ANNÉE - EXTINCTION RITUELLE DES FEUX - LUNE - ARITHMOLOGIE - DYADE. TRIADE - SIRENE - COINCIDENCE DES OPPOSES - PORTE - ANDROGYNE - PHILOSOPHIES DE L'HISTOIRE - ÉTERNEL RETOUR - VÉGÉTATION SAISONNIERE - DURÉE. VIEILLISSEMENT - ASTROBIOLOGIE. DRAME AGRO-LUNAIRE - FILS. MÉDIATEUR - DRAME ALCHIMIQUE - CÉRÉMONIES INITIATIQUES - RITUEL DES SACRIFICES - PRATIQUES ORGIASTIQUES - BESTIAIRE DE LA LUNE: DRAGON, ESCARGOT - SPIRALE  - OURS - LIEVRE - INSECTES - SERPENT. OUROBOROS - ROUGE ZODIACALE - TISSAGE. FILAGE. FUSEAU. QUENOUILLE - CERCLE - ROUE - TRISKELE - CHAR.
 L'imaginaire celtique traduit une Weltanschauung en mouvement, dynamisant les images mystiques de blottissement dans l'intimité. La quête intimiste de l'Autre Monde, qui domine et résume toute la culture celtique, est ritualisée par la fête cyclique et annulaire du Samain: moment d'interpénétration entre le monde des vivants et le monde des morts.
TRAJET IV - SYNTHESE, QUETE DE SOI ET DE L'AILLEURS 
Les symboles rythmiques et le mythe du progrès dans l'imaginaire celtique.
 L'ARBRE.
 L'arbre (et le bois en général) est un grand symbole. 
 Arbre et Autre Monde, via certaines pratiques funéraires.
BACHELARD (Jean), L'eau et les rêves, 
   J. Corti, Paris, 1942, p. 98.

 
 Les Celtes usaient de divers et étranges moyens vis-à-vis des dépouilles humaines pour les faire disparaître. Dans tel pays, on les brûlait, et l'arbre natif fournissait le bois du bûcher; dans tel autre, l'arbre de mort, creusé par la hache, servait de cercueil à son propriétaire. Ce cercueil, on l'enfouissait sous terre, à moins qu'on le livrât au courant du fleuve.
 
 Arbre dans l'Autre Monde; axe du monde? 
 
BENEDEIT (Gérard), Le voyage de Saint-Brendan, 
   10-18, Paris, 1984, p. 51.

 
 Ainsi dans la "Navigation de Brendan", sur une étendue de terre haute et lumineuse, se dressait un arbre blanc comme le marbre, aux larges feuilles tachetées de rouge et de blanc. L'arbre s'élevait à perte de vue jusque dans les nuages. De la cime jusqu'au sol, il était recouvert d'un branchage touffu et de grande envergure, qui projetait au loin son ombre et masquait la lumière du jour. Les branches étaient toutes couvertes d'oiseaux blancs: personne n'en avait jamais vu d'aussi beaux.
 
 Dans le folklore celtique, une "Saga de gradlon le Grand" (ce dernier étant le père de Dahut, qui exigea que fût construite, survivance christianisée de l'Autre Monde versions insulaire et sous-marine, la cité maritime d'Ys) fait état d'un énorme chêne qui se trouvait, disait-on, en face de la ville d'Ys, au milieu de la mer, on ne savait depuis combien de centaines d'années. Personne n'avait pu l'enlever. On ne parlait que de ce grand chêne. Cet arbre, disaient les savants, avait été la cause première, à vrai dire l'assise même de la ville d'Ys (MARKALE (Jean), La tradition celtique en Bretagne armoricaine,Opus cité, p. 80.). 
 
 L'arbre illustre enfin pleinement la synthèse des différents mondes: continuité de l'Autre Monde avec le monde des vivants. 
 
 Cela éclate dans le Mabinogi de Peredur où celui-ci, au moment où il s'apprête à traverser une rivière, voit que des moutons qui la traversent ressortent noirs sur l'autre rive alors qu'ils étaient blancs au départ, et vice versa, les moutons venant noirs de la rive opposée devenant blancs en arrivant près de Peredur: parfaite réciprocité des échanges entre les deux mondes. Sur une des rives était un grand arbre, dont une moitié verticale brûlait tandis que l'autre était pleinement verte... Réunion synthétique du multiple dans l'un.
SYNTHESE: 
Les symboles rythmiques et le mythe du progrès dans l'imaginaire celtique.
CROIX - BUCHER - BRIQUET. FRICTION - DANSE. CHANT. GIRATION - INSTRUMENT DE MUSIQUE - MESSIANISME - ARBRE - ARBRE RENVERSE.
 Constellation de tous les symboles, rythmiques comme progressistes, autour de l'arbre: symbole de vie permanente. Parfois frontière de l'Autre Monde, qui n'est qu'un Ailleurs parmi beaucoup d'autres, ce qui autorise, par le biais de la Quête, un progressisme exponentiel sans aucune crainte d'enrayement antithétique.
EXEMPLE D'OPPOSITION DE LOGIQUE DE L'IMAGINAIRE PAR-DELÀ LE SYMBOLE:
 L'Yggdrasil de la tradition nordique est symbole de la totalité du cosmos dans sa genèse et dans son devenir. Ce devenir, qui n'en est pas un, mais une stagnation dans la répétition antithétique, se confond avec celui de l'univers nordique; lors du Ragnarok, Yggdrasil est incendié! 
 
 Cet arbre est écartelé entre les puissances qui s'opposent en son sein; et il ne peut pas les gérer convenablement, par la synthèse, par la progression, puisqu'il brûlera lors du Ragnarok. Les conflits dont il est le lieu reflètent l'imaginaire germanique dans son ensemble: tensions jamais résolues qui éclatent dans une destruction généralisée. Yggdrasil joint certes les différents mondes, mais ne les fait pas communiquer pour autant. Chacun des mondes reste farouchement retranché derrière ses frontières.
 
TROISIEME PARTIE
DEVENIRS DE L'IMAGINAIRE DES GERMAINS ET DES CELTES.
DEVENIR I - Clefs pour une nouvelle méthode d'investigation de l'imaginaire?
 Pour explorer l'imaginaire celtique et l'imaginaire germanique a été admise la théorie des structures de l'imaginaire deGilbert Durand ainsi que sa méthodologie d'investigation de ces structures.
 Ont été intégrés les deux aspects fondamentaux des travaux de G. Durand: la mise en évidence d'un dynamisme créateur des structures de l'imaginaire, doublée d'un inventaire possible de ces structures et de leur symbolisme; le principe constituant l'imagination consistant en la figuration, la symbolisation, la représentation des néfastes visages du temps et de la mort avec le dessein de les maîtriser (la fonction de l'imagination est ainsi d'abord de créer des images de l'objet mortifère que constituent la mort et le temps, puis de créer dialectiquement des images de vie aptes à triompher de la mort).
 Toute la culture germanique est contenue dans l'idée de lutte active mais désespérée contre le Destin, ce qui a permis de conclure à une dominante, quasiment à l'état pur car STRUCTURALE, du régime de l'antithèse (ou diurne) dans l'imaginaire germanique; tandis qu'en ce qui concerne les Celtes, les références aux symboles antithétiques n'apparaissent que comme tentations, purement symboliques, en rien corroborées structuralement, ayant sans doute pour objet d'affermir la douceur intimiste, euphémisante  et la cyclicité progressiste réglant la Weltanschauung celtique par une confrontation avec le registre de l'antithèse.
 L'imaginaire celtique est placé sous la coupe du régime de l'euphémisation (ou nocturne), la culture celtique étant dominée (et contenue dans) par le désir intimiste d'investigation de l'au-delà et de ses richesses d'une part; cette pulsion d'exploration de l'Autre Monde et de possession de ses trésors étant d'autre part exaltée mythiquement par le mythe, fondateur de la civilisation celtique, de la ville engloutie. La cyclicité de cette ville, appelée à sourdre et redisparaître cycliquement, organise un mythe dramatique et progressiste, car les Celtes croient que cette cité submergée resurgira pour toujours, tout comme le défunt roi Arthur est voué à revenir messianiquement de l'Autre Monde où il est en état de "dormition" sur l'île merveilleuse d'Avallach.
 En ce qui concerne les rapports que l'imaginaire germanique entretient avec le régime euphémisant de l'imaginaire, ils constituent des écarts symboliques "ratés", des "frasques archétypales" vouées à l'échec, la cyclicité du crépuscule final suivi d'un renouveau s'imposant en fait comme une brisure fondamentale, une séparation aux dimensions cosmiques entre le désir de l'homme d'échapper au destin et à la mort et l'impossibilité de réalisation de ce désir: dissociation sans appel, opérée par la toute-puissance implacable du signifiant Destin, qui n'autorise aucun progressisme et signe par là l'appartenance structurale de certains symboles de l'imagination germanique intéressant le régime de l'euphémisation au régime, chez eux dominant, de l'antithèse.
 En conclusion à cette recherche, que peut-elle prétendre apporter pour la connaissance des Celtes et des Germains en plus d'un simple étiquetage de leurs imaginaires en termes de logique antithétique et de logique euphémisante?
 Cet apport pour la connaissance des civilisations celtique et germanique passe par la recherche, à travers une analyse conceptuelle du monde philosophique et spirituel de ces deux civilisations, d'une synthèse de leurs différences marquées de logique de l'imaginaire.
 L'obsession majeure, commune et fondatrice de leurs imaginaires, des Celtes comme des Germains, pour la mort, c'est-à-dire, au niveau de l'imaginaire, pour l'au-delà, doit finalement nous aider à dépasser le cas de ces deux civilisations pour tenter de proposer une nouvelle méthode d'exploration anthropologique de l'imaginaire d'un peuple donné.
 Pour G. Durand, l'angoisse de la mort, générée par la réalité de celle-ci, fait défensivement équivaloir l'imagination à un espace fantastique où le temps est nié (et de fait la mort).
 N'y aurait-il pas dans l'imaginaire de chaque peuple un espace fantastique bien déterminé permettant centralement de saisir toutes les structures de l'imaginaire de ce peuple?
 C'est ce qui doit être recherché pour essayer de proposer une nouvelle méthode d'investigation des logiques de l'imaginaire.
 La géographie réelle est génératrice de l'angoisse de mort, laquelle est gérée par l'imaginaire dans une géographie fantastique.
 Ne pouvant agir sur son environnement géographique dans le réel, l'homme agit sur lui en imagination, en lui faisant subir des transformations fictives, en contrebalançant compensatoirement sa réalité matérielle blessante, angoissante voire mortelle par la réalité psychique. L'environnement géographique réel étant constant, constituant donc un invariant exogène, qui est aussi un cadre faisant office de contenant stable au sein duquel va se déployer une culture, cette action imaginaire sur l'espace réel apparaît comme une référence universelle pour la formation de l'imaginaire. Elle est inaugurale de l'imaginaire d'un peuple, fondatrice.
 Ce qui pousse à la formation de l'imagination n'est pas lié à la constance du cadre naturel, mais précisément aux altérations de cette constance, aux accidents géographiques donc, aux cataclysmes naturels, aux conditions climatiques et météorologiques exceptionnelles, dont la récurrence génère au niveau psychique des traces mnésiques qui sont ensuite réactualisées et élaborées en fantasmes angoissants de mort et de passage, la réalité extérieure traumatogène organisant ainsi en faisant effraction dans la sphère psychique des fantasmes défensifs dont la cohérence détermine l'imaginaire d'un peuple et, lorsque cet imaginaire est codifié, institué, ritualisé, sa culture.
 On peut donc affirmer que les dominantes psychiques, les logiques de l'imaginaire de fait, d'un peuple donné sont dictées, forgées par le travail mental collectif qu'il effectue pour gérer, mettre en sens ce que son habitat géographique détermine pour lui en termes d'actions nécessaires pour (sur)vivre, d'actions auto-conservatrices donc; cette nécessité de l'auto-conservation (où l'aspect physique de cette démarche est toujours, sous peine d'aliénation, solidaire de son aspect mental, l'homme étant un animal qui signifie, qui représente, qui symbolise) étant bien sûr solidaire d'expériences traumatisantes de la mort.
 Le travail mental dont il est ici question est un travail de l'imagination, qui va élaborer l'expérience de la mort en lui donnant un cadre de signifiance, en la structurant donc, de manière à lui donner du sens, car ce qui est compris, su, connu, balisé est désamorcé. Le dangereux, c'est souvent l'inconnu.
 Ainsi, l'activité de l'imaginaire semble consister en l'élaboration de structures de l'imaginaire, comme un tissu cellulaire s'auto-sécrétant. Tout imaginaire vise à sa propre structuration.
 L'on peut affirmer, et satisfaire par là même une quête méthodologique d'un espace fantastique possédé par tout peuple et permettant, sorte de substrat archétypal, d'athanor symbolique, d'appréhender centralement toute la trame structurelle de l'imaginaire d'un peuple, qu'il est possible d'appréhender les logiques de l'imaginaire d'un peuple donné par la connaissance que nous avons de sa représentation de l'au-delà.
 Il y a ainsi, par mouvements inverses, progrédients / régrédients, par interactivité entre la méthode durandienne (classification isotopique des images de façon à faire apparaître des logiques structurelles de l'imaginaire) et la méthode ici proposée, constitution d'un moyen de vérification de la fiabilité de cette nouvelle méthode de connaissance de l'imaginaire par comparaison complémentariste avec celle de G. Durand, et réciproquement.
 Cette interaction complémentaire entre la méthode proposée et celle de G. Durand conduit ultimement à déterminer à quels détails correspondent dans l'au-delà en général, surtout au niveau géographique, les régimes de l'antithèse et régime de l'euphémisme.
 Une analyse rapide et synthétique des différents au-delà européens fait émerger deux "modèles" généraux de séjour d'outre-tombe; ils sont très différents, sinon opposés, et sont superposables aux régimes de l'antithèse et de l'euphémisme respectivement et distinctement.
 Bien entendu, les données de cette modélisation sont électivement nourries, mais certes pas intégralement, par le degré de pureté des dominantes de régime de l'imaginaire, couvrant à eux deux les deux régimes de l'imaginaire, des Celtes et des Germains.
 Il est loisible de se représenter cette bi-modélisation de l'au-delà chez les Indo-Européens sous forme de tableaux classificatoires. 
 Confessons le pressentiment, ou l'intuition, d'une prégnance du régime de l'antithèse au sein des au-delà européens; mais pas d'une exclusivité bien sûr, ce que démentirait au moins le cas des Celtes.
  •  Dominante en régime de l'antithèse de l'au-delà = les images de la mort sont mal endiguées, mal contrebalancées par les images de la vie. "Ratés" dans la fonction de l'imaginaire.
  •  Dominante en régime de l'euphémisme de l'au-delà = les images de la mort sont bien endiguées, bien contrebalancées par les images de la vie. La fonction de l'imaginaire atteint correctement le but de maîtrise du temps et de la mort qu'elle s'assigne.
 La culture du monde indo-européen, de l'Occident donc, serait globalement et structuralement dominée par l'échec du refoulement de la mort que son imaginaire vise à produire; le retour du refoulé, trop réussi, contamine néfastement les images de vie en chargeant de dangers, de châtiments la plupart des séjours d'outre-tombe chez les Indo-Européens.
DEVENIR II - Avatars et actualités des imaginaires celtique et germanique.
 Il s'agira ici de proposer une interprétation significative de certaines données historiques, culturelles, sociologiques concernant les Germains et les Celtes puis, anachroniquement, des peuples leur ayant succédé sur les mêmes terres, ceci à cause de la connaissance acquise de leurs logiques mentales: l'antithèse germanique et l'euphémisation progressiste celtique.
 Les choix historiques des peuples sont quelquefois étranges, déroutants. Lorsque l'on a épuisé en vain les explications rationnelles, stratégiques, économiques, la compréhension de l'imaginaire sous-tendant le comportement collectif d'un peuple et le scellant en tant qu'entité humaine cohérente peut fournir une sûre clef interprétative.
 Ainsi pour les Germains et les Celtes.
 Historiquement, les Celtes furent battus par les Romains. On connaît la fameuse bataille d'Alésia. On connaît aussi la formidable machine de guerre que constitua l'armée romaine.
 Les Celtes furent pourtant d'excellents guerriers, même si  n'étant pas naturellement enclins au combat. Comment donc une défaite militaire puis culturelle et cultuelle des Celtes fut-elle possible, si rapidement et si massivement?
 Peut-être en raison d' une grande différence de logique de l'imaginaire entre les Romains et les Celtes. L'imaginaire des Celtes, fusionnel et synthétique, ne les rendit probablement même pas capables à la base de se représenter des peuples différents d'eux. Tournés vers une quête incessante de l'Autre Monde et de ses richesses, ce qui les motiva probablement dans le réel à mettre à sac, sous l'égide du chef gaulois Brennus, Rome, puis à tenter de piller, sans succès, l'or de Delphes, ils ne purent concevoir non seulement une adversité ni encore une adversité agressive, conquérante, obéissant à d'autres desseins de l'imaginaire qu'eux. Les Romains voulurent conquérir le monde dans sa réalité géographique.
 Les Celtes ne furent donc pas vaincus militairement, mais avec leurs propres armes: spirituellement. La pénétration des divinités romaines fut ensuite très douce.
 C'est donc sans traumatisme excessif sur le plan de l'imaginaire que la logique mentale euphémisante, fusionnelle des Celtes intégra et fut transformée par la logique mentale des Romains, plus antithétique (même si certainement moins que celle des Germains).
 Un syncrétisme assez réussi, équilibré, fut même réalisé: le panthéon gallo-romain. Notons que l'imaginaire celtique fut entièrement préservé en Irlande, que les Romains ne purent conquérir. Notons aussi la stabilité qui autorisa pour quelques siècles après J.-C. la "pax romana" en Gaule, qui fit que si la logique romaine rendit moins fusionnelle la logique celtique, celle-ci rendit en retour moins antithétique la logique des Romains. Les Romains ne furent pas les pires des esclavagistes. L'ordre régnait à l'intérieur des frontières de l'Empire de Rome, et c'était tout. Il n'y avait pas de volonté farouche de briser les autres peuples. Les Romains, et on voit à cela qu'ils ne furent pas seulement antithétiques du point de vue de leur logique de l'imaginaire, avaient une volonté sincère d'intégration des autres peuples; tout comme s'y exercèrent avec succès les deux grandes religions monothéistes: l'Islam et le Christianisme. L'intégration signifie l'équilibre entre l'antithèse et la fusion. L'intégration n'est pas l'exclusion.
 Historiquement, les Germains furent inquiétés mais non battus par les Romains. 
 Leur logique de l'imaginaire, complètement antithétique, faisait d'eux, dans le réel, des individus méfiants, soucieux avant tout de leur survie, organisant tout leur socius en vue de leur auto-conservation. Contre eux, les Romains eurent affaire à partie autrement coriace qu'avec les confus Celtes.
 On connaît l'éclatante défaite de Varius dans les forêts de Teutonburger, en Souabe.
 Ici, ce sont les Romains qui payèrent le prix de la méconnaissance d'une stratégie différente de la leur, ce qui ne parut pas du tout inquiéter les Germains. Ces derniers, hyper-vigilants, observateurs, prompts à analyser les situations réelles, à se représenter les choses de façon au moins aussi rationnelle, spatiale (le géométrisme morbide) que les Romains comprirent la puissance et la logique de l'armée romaine, qu'ils guettèrent et attirèrent dans un environnement géographique éminemment défavorable à leur stratégie martiale: épaisses forêts, marécages.
 Équilibrage très efficace sur le plan réel de l'exaltation guerrière et de l'ordre prudent. Ceci fait que le territoire des Germains ne fut jamais romain et que le panthéon, et donc l'imaginaire germanique, ne fut jamais influencé par le panthéon, et donc par la logique de l'imaginaire, moins antithétique que la leur, des Romains.
 Sur le plan historique, les dispositions antithétiques de la mentalité romaine permirent à Rome d'identifier les Germains comme étant de redoutables combattants et à renoncer prudemment à conquérir leur territoire, se bornant à marquer une frontière armée: clivage fonctionnel qui a permis aux Romains et aux Germains de fonctionner ensemble.
 Les dispositions euphémisantes de l'imaginaire romain ont permis d'intégrer la culture celtique dans la culture romaine, et vice versa, en un mélange qui, là encore, a pu fonctionner sur le plan de l'imaginaire.
 Le Moyen-Age chrétien, tout aussi diversifié sur le plan de l'imaginaire, antithétique et euphémisant, saura, lui aussi, se concilier la logique celtique et la logique germanique, lesquelles, une fois dissoute l'influence gréco-romaine au niveau du sacré, finiront, passé le premier millénaire de notre ère, par constituer l'imaginaire du Moyen-Age, tournant et façonnant de manière vivable pour l'esprit, même si devenant progressivement saturé en antithèse, la logique bipolaire du point de vue de l'imaginaire du christianisme.
 Le pôle antithétique de la mentalité chrétienne sut intégrer la mentalité complètement antithétique des Germains, qui délaissèrent le culte de leurs dieux, remplaçant Odin, initié à la science toute-puissante des runes par un auto-sacrifice sur un arbre, par Jésus Christ, initié au mystère de la mort et de la résurrection en étant supplicié sur une croix. Le péché chrétien prit la place des différentes déclinaisons de l'impureté dans l'univers germanique: la honte de ne pas mourir en combattant, l'interdit de l'infidélité et de l'homosexualité. Nous "devons" à la combinaison Germains / Chrétiens le fait que l'amour occidental soit un amour malheureux, clivé, portant antithétiquement en lui sa destruction, l'impossibilité de son accomplissement serein, héroïque plus que sensuel, instable.
 Le formidable tabou de la sexualité chez les Chrétiens n'est pas non plus étranger à la gestion germanique des rapports amoureux: le Germain n'était pas sensuel; préoccupé par sa survie, il a conçu un chef des dieux désincarné, Odin, comme indifférent, coupé lui même du formidable clivage opposant l'éthéré dieu du mal Loki à la "concrète" mais faible déesse de l'amour Freya. Chez les Germains, le viol et l'infidélité conjugale appelaient la pire des sentences: la mort ou, pire (!), le bannissement.
A ce stade du Moyen-Age, à peine constitué au niveau de ses mentalités, l'Occident a pris une orientation antithétique, qui à la fin du Moyen-Age se montra pleinement à travers plusieurs faits: 
 
  •  - l'asservissement, la mise en esclavage des populations d'Amérique Centrale puis du Sud par les Espagnols et les Portugais. Il est vrai que la croix évangélisatrice étant alliée à l'épée ("la cruz y la espalda"), cette agression se solda non pas par un génocide mais par une "exploitation de la ressource humaine". La composante euphémisante (mystique) du christianisme, dite à la base religion d'amour, empêcha l'extermination en grande série des peuples envahis.
  •  - la saisie en 1492 par Isabelle la Catholique, au nom d'un décret qu'on jugerait écrit par un nazi, des biens des 150.000 Juifs d'Espagne, assortie bien sûr de leur expulsion, pour fonder...la Sainte Inquisition espagnole, cette institution fonctionnant elle aussi gràce à un clivage entre des individus dits diaboliques, sorcières et autres pauvres bougres, hérétiques réels ou fabriqués pour les besoins de la cause, et des individus pieux, bons Chrétiens (tout comme il y aura pendant la Seconde Guerre Mondiale, sous l'Occupation, des "bons Français"...).
 Le christianisme ne sut pas équilibrer son aspect antithétique par son aspect euphémisant, conciliateur des extrêmes. L'apport de la logique germanique entra pour une trop forte proportion dans la constitution de l'imaginaire occidental. Cette nuanciation de l'imaginaire, cette euphémisation vitale, les Celtes ne purent l'apporter pleinement, en raison de leur étouffement précoce par les Romains, qui mâchèrent redoutablement si l'on peut dire le travail assimilateur des Chrétiens.
 Cette logique de l'antithèse régna aussi sur l'ensemble de la culture du Moyen-Age européen: une anti-culture. 
 Le savoir médiéval fut cloisonné antithétiquement dans l'aristotélisme, en un système parfaitement clos et parfaitement inhumain, sans dialectisation possible, de la connaissance. Ce musellement intellectuel fut assuré par l'Église Catholique et ses dogmes hyper-rigides et méfiants.
 Qu'en est-il de l'apport de l'imaginaire celtique à la mentalité de l'Occident naissant?
 Nous savons maintenant que cet apport fut impuissant, tôt bâillonné. De fait, l'imaginaire celtique était déjà passé en courant souterrain lorsque se constitua, au Moyen-Age, la mentalité occidentale. Évacué de la "scène publique", il ne trouva que trois domaines pour se manifester: la religion, mais faiblement, la culture (architecture, littérature, un peu de philosophie). Jean Markale fournit ici un appoint conséquent ( Ibid, Les Celtes, pp. 460-490.). 
 
DUBOIS (Jacques), Les ordres monastiques, 
   P.U.F., Paris, 1991,  
pp. 17-21.

 
 L'imaginaire celtique est sans doute, dans sa fusion, avec la partie mystique du christianisme, à l'origine de l'apparition des ordres contemplatifs, d'ailleurs surgis en Irlande, terre qui avait été hors d'atteinte de l'influence romaine et qui fut la dernière contrée à population celtique à être évangélisée. Accord entre la mystique chrétienne et la mentalité celtique, mystique à l'état pur.
 
 Cet accord est peut-être à l'origine de l'art roman, qui, avec son aspect fantastique et sa recherche continuelle d'une dynamique de l'être, connotant un imaginaire euphémisant et en évolution, est plus proche de l'art gaulois et de l'art irlandais que ne l'est le gothique.
 Les Celtes, avant l'introduction du christianisme, étaient essentiellement amoraux, persuadés que le mouvement interne qui menait leur vie menait également l'univers vers une fin justifiée: mentalité progressiste, conciliant et dépassant sans opposition les contraires.
 Cette innocence fut altérée par le christianisme, qui introduisit, et ruina ainsi efficacement, la culpabilité et le péché dans l'imaginaire celtique. L'Autre Monde n'était pas sinistre, jusqu'à ce que le christianisme n'y introduise, avec la culpabilisation des actes humains, la notion d'enfer diabolique, châtiment des pêcheurs, en une logique antithétique de l'imagination. Le péché était inconnu des Celtes; le châtiment éternel était inconnu de la pensée druidique. Quand St-Patrice, qui fut le principal évangélisateur de l'Irlande, voulut prêcher aux autochtones les dogmes du paradis et de l'enfer, il se heurta chez eux à la plus violente incrédulité. La vie future envisagée comme une sanction de la vie présente n'était pas, en effet, une conception de l'imaginaire celtique.
 Dernière expression, mais non la moindre, de la logique celtique au Moyen-Age: l'alchimie. Proscrite par le pouvoir officiel, ses adeptes et praticiens opérèrent en secret. Cette merveilleuse mystique opérationnelle sur la matière s'inscrivit, au niveau de ses buts spirituels, à savoir la régénération de l'homme grâce à une harmonie avec les lois du cosmos, dans la pleine continuité de la mystique celtique, qui visa à concilier homme et univers en concevant des échanges harmonieux et intimistes entre le pays des vivants et le pays des morts. Le dévoiement, à la fin du Moyen-Age, d'une partie de l'alchimie, qui ne servit pour certains qu'à fabriquer de l'or à des fins lucratives, montre que cette survivance de l'imaginaire celtique dans ses desseins les plus élevés fut, elle aussi, largement entamée, cassée, pourrie par le matérialisme agressif et séparateur de la mentalité occidentale nouvellement formée, signifiant par là l'amère abolition d'une conception du monde, qui fut prégnante dans l'Antiquité ici et là, où l'homme vivait avec l'univers, harmonieusement, et non coupé de lui, c'est-à-dire de soi-même.
 Dès les prémices de sa constitution, la mentalité occidentale, en intégrant massivement la logique des germains, prit une orientation résolument antithétique. 
 Cette suprématie de logique de l'imaginaire se cliva de la logique celtique euphémisante, qui passa en courant souterrain ou fut affaiblie littérairement, où sa survivance fut pur effet narratif.
 Ce clivage entre l'antithèse triomphante et l'euphémisme "battu", déprécié et même diabolisé vaudra à l'Europe de l'époque classique puis actuelle diverses situations difficiles, dont nous payons aujourd'hui encore le prix, de plus en plus exorbitant.
 Survivance contemporaine des imaginaires des Germains et des Celtes. 
 C'est en Allemagne, dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, que la mentalité germanique antithétique réapparaîtra avec force: le mouvement à la base littéraire du "Sturm und Drang" ("Ouragan et emportement", ou encore "Tempête et assaut") appelant à une abolition des limites de la condition humaine, sur fond d'orgueil, de démesure intellectuelle, sentimentale et belliqueuse, ressuscita véritablement, tout en se disant clairement nationaliste, typiquement allemand et voulant combattre le classicisme français, dans les consciences la mentalité des anciens Germains.
 Ainsi fut constitué le nazisme, idéologie, c'est-à-dire orientation collective de l'imaginaire. 
 
COLONOMOS (Fanny), MARSAULT (Élisabeth), Comme des jongleurs insensibles, 
   (Les psychanalystes allemands et la montée du fachisme), 
   Frénésie éditions, Paris, 1988, p. 146.

 
 Le panthéon germanique, mais aussi les rites que lui rendaient les Germains: tout comme Odin se sacrifia par la pendaison et la perte d'un oeil pour acquérir la science des runes, la mise en scène des autodafés de livres jugés maudits de mai 1933 fut celle d'un sacrifice expiatoire.
 Les incendies eurent lieu le soir, la tombée de la nuit accentuant le caractère religieux de la cérémonie, dont les étudiants, dans l'habit d'apparat de leurs corporations, étaient les grands prêtres.
 
 Les nouveaux Germains sacrifièrent la mauvaise connaissance (ouvrages écrits par des Juifs principalement, tels les écrits freudiens) pour acquérir et préserver la bonne. Le bien est acquis par le repérage et l'élimination du mal.
 L'idéologie nazie, tout comme la logique de l'imaginaire des Germains, fut fondamentalement gouvernée par une conception du monde clivée et sans repos, un besoin irrépressible d'expansion dans l'espace, dans un mouvement de conquête intervenant en réaction à un environnement paranoïaquement perçu comme hyper-insécurisant, une sociologie à base d'exclusion justifiée par une logique purificatrice, et une eschatologie auto-destructrice.
 Détaillons les quatre piliers de l'imaginaire nazi:
1) Le nazisme: une conception du monde clivée et sans repos.
 Les nazis considérèrent que l'Allemagne était menacée, et le monde avec, par un ennemi intérieur: la communauté juive, qui fut représentée, imaginée comme une "internationale" visant à saboter les nobles tendances d'esprit caractérisant le genre humain en général et les "Aryens" en particulier. 
 
 La dernière guerre vue à travers les affiches, Atlas, Paris, 1978, p. 156.

 
 Tout comme les Germains conçurent des monstres cosmiques désireux de détruire l'univers, les nazis érigèrent l'ethnie judaïque en entité démoniaque, moins qu'humaine, animale, dite impure et sale et sombre comme l'étaient mythiquement le loup Fenrir et le serpent marin de Midgard, ennemis jurés des dieux et des hommes. Par ailleurs, tout comme Fenrir, le Juif était perçu comme dévorant, avide de corrompre la pureté raciale des peuples, surtout du peuple allemand envisagé comme pur et élu par antithèse, et tout comme le serpent du Midgard, qui enserrait la terre par le fond des océans, le Juif était représenté, ce que l'on voit très bien sur certaines affiches de propagande nazie, comme enserrant la planète par le pouvoir de l'argent.
 
 Midgard pouvait déstabiliser le globe en bougeant, ce qui amenait, croyait-on, les séismes; le Juif fut accusé de déstabiliser les lois de la pureté des races par son impureté native et de déstabiliser la félicité marchande des peuples par un lucre planétaire visant à s'approprier, en grugeant tout et tous, toutes les richesses produites par l'homme.
 Ces idées sont contenues dans un écrit antisémite célèbre, datant du siècle dernier, "Le protocole des Sages de Sion". C'est à l'occasion du premier congrès mondial sioniste à Bâle, en 1897, que la police secrète russe avait fabriqué et répandu cet écrit, qui contenait les éléments de la "conspiration judéo-maçonnique" visant à dominer le monde sur les ruines de la chrétienté et élaborée lors de prétendues réunions secrètes des chefs juifs. Ce texte fut utilisé comme manuel politique par les nazis, qui en reprirent certaines assertions dans une symétrie toute  spéculaire: ainsi "tout ce qui est bénéfique au peuple juif est moralement juste et sacré" devient-il "ce qui est juste est ce qui est bon pour le peuple allemand". Par un double renversement, l'antisémite nazi projeta sur le Juif ses propres intentions, puis les reçut imaginairement en retour et put dès lors les mettre en acte comme légitime défense dans une relation inextricable de persécuteur à persécuté (COLONOMOS (Fanny), MARSAULT (Élisabeth), Opus cité, p. 72.).
 Là encore, l'imaginaire fonctionne en fabriquant un ennemi auquel des forces bénéfiques s'opposent par l'élimination purificatrice. 
 Hitler s'inspira de cet apocryphe pour écrire certains chapitres de Mein Kampf (Mon Combat). Dans cet épais ouvrage, destiné à flatter démagogiquement les bas instincts, on apprend que tous les maux de l'Allemagne et de l'humanité sont dus aux Juifs, présentés de manière caricaturale, nette: des êtres méchants et impurs. Face à cette représentation, Hitleropposa les Aryens, antithétiquement blonds, purs et moralement droits. 
 Puisqu'il fallut isoler le mal du bien avant de le détruire, les nazis conçurent des espaces séparateurs, isolateurs: les camps de concentration et d'extermination. 
 
2) Le nazisme: un besoin irrépressible d'expansion dans l'espace.
 Hitler décréta que le peuple allemand, en tant que peuple supérieur, élu, avait besoin de s'étendre dans l'espace, de disposer de nouvelles terres, et forgea à cet effet le concept révélateur d'"espace vital" ("Lebensraum").
 Tout comme les Vikings, plus d'un millénaire auparavant, ressentirent, en un parfait accord de leur mentalité percevant le monde comme clivé et menaçant et de la réalité géographico-climatique où ils se mouvaient et tentaient de survivre, la nécessité vitale de conquérir de nouveaux espaces, ce qu'ils tentèrent d'opérer dans nombre de régions côtières d'Europe, de l'Angleterre à la Sicile, de la Normandie à la mer Noire, les nazis voulurent disposer de nouveaux sols, où chaque Allemand aurait bénéficié d'un espace personnel suffisant à son accomplissement biologique et spirituel, sans risquer d'étouffer comme une plante étiolée.
 Ce besoin d'accroissement spatial se doubla du souci d'une diminution démographique des populations non-Aryennes, accusées d'entraver le légitime et héroïque déploiement des Aryens: d'extermination à grande échelle. 
 
3) Le nazisme: une sociologie à base d'exclusion justifiée par une logique purificatrice. 
 
 Hitler, pour l'assainissement qu'il envisageait de commettre de l'humanité, considéra que celle-ci, à l'image d'un rosier qui doit être fermement taillé pour que seules subsistent les plus belles fleurs, devait être très largement élagué pour que seuls demeurent ses éléments les plus purs: les Aryens. 
 Si les précédentes exterminations ou persécutions (dont le génocide des Peaux-Rouges) perpétrées par l'Occident antithétique avaient été commises comme automatiquement, sans état d'âme particulier, le génocide du peuple juif et autres "races inférieures" par les nazis fut asservi à une donnée essentielle de l'imaginaire germanique.
 Les anciens Germains considéraient que le fait de vivre vieux était une infamie, une grande menace pour la famille ainsi "accablée de cas de longévité". Pourquoi? parce que chaque famille se perpétuait grâce à l'énergie de ses générations, celle des morts se transmettant à celle des vivants. Ainsi, ils pensaient que la mort d'un homme devenu vieillard affaiblirait sa descendance. Or il ne fallait que des individus vigoureux, capables de combattre le Destin, mourant et luttant afin de rejoindre l'armée céleste d'Odin qui s'en irait, lors du Ragnarok, en découdre contre monstres et géants.
 Ce culte fou de l'énergie martiale des individus se traduisit sociologiquement dans l'Allemagne nazie par la magnification du sport et le culte du corps en découlant, par le détournement de la science de l'âme, c'est-à-dire de la psychanalyse, à des fins purement adaptatives (reprises d'ailleurs aux États-Unis sous le nom d'Ego Psychology, ou psychologie du moi, visant non pas à affranchir l'individu de ses répétitions névrotiques mais à en faire, autre violence antithétique, une copie conforme à des "patterns" sociaux en vigueur).
 Les membres juifs de l'Institut berlinois de psychanalyse une fois éliminés, il ne resta des anciens didacticiens que trois "aryens", qui "normalisèrent" les relations de l'institution avec le pouvoir nazi. Ils acceptèrent de transformer l'Institut Psychanalytique en Institut Göring au service de l'État nazi, après l'exclusion de leurs collègues et la mise sous boisseau (et au bûcher!) de la théorie freudienne (Ibid, p. 210.).
 En psychanalyse comme ailleurs, là où le Juif était, l'Aryen devait advenir. Les théories psychanalytiques furent saisies pour être infléchies dans le sens du conformisme idéologique et social nazi par adaptation sélective (toujours cette mentalité d'exclusion antithétique) de certains concepts ou pratiques. Cette révision de la psychanalyse intégra l'héritage romantique de la lutte contre le rationalisme, tout en en dévoyant le caractère intimiste. Là où Freud parla de conflits internes, il y eut une "approche totalisante"; et là où le freudisme opposa l'individu  et le "nous" du Volk (peuple) (Ibid, p. 136.), le "Je" devant si nécessaire, se sacrifier pour ne pas déroger à la pureté du "Nous".
 Le culte fou de l'énergie vitale et martiale des individus amena aussi le massacre de plusieurs centaines de milliers de malades mentaux, de personnes handicapées et de vieillards dans les hôpitaux et sanatoriums d'Allemagne puis de France lors de l'Occupation.
 Seuls les forts devaient vivre, et seuls les "purs". Les "impurs", c'est-à-dire surtout les Juifs, durent donc disparaître; ce fut le génocide programmé sous le nom "Nuit et Brouillard" ("Nacht und Nebel") Brouillard? La plus célèbre légende germanique, où palpite l'ensemble du panthéon des Germains et son glissement vers l'abîme final, est précisément dite "des  Nibelungen" (des "fils du brouillard"). 5,6 millions de Juifs (sur dix millions de déportés au total) firent les frais atroces de cette logique: la pire des options possibles de l'imaginaire, la plus morbide, la plus extrême. Celle qui n'autorise aucune conciliation avec la différence, qui déroge à la loi même de la vie: le mélange, l'hybridation, le métissage, dont on sait de nos jours qu'ils sont génétiquement nécessaires, tandis qu'une "mêmeté" des gènes appauvrit les organismes, les rendent plus vulnérables car peu diversifiés et désarmés contre la différence.
 Lorsque ce crime à grande échelle fut scientificisé, les médecins maudits des camps de la mort croyant pouvoir améliorer l'espèce humaine en charcutant ignominieusement et absurdement (injections d'essence, ablations d'organes etc.) des milliers d'individus "impurs" (Juifs, Tziganes, Polonais etc.), on peut penser que l'imaginaire antithétique germanique atteignit alors les limites extrêmes de sa logique malade. 
 
4) Le nazisme: une eschatologie autodestructrice.
 Les anciens Germains conçurent, en analogie avec un environnement invivable, un combat mythique final où les dieux furent tués par les monstres cosmiques et où l'univers fut détruit par les flammes.
 On remarque que c'est par les flammes que les nouveaux Germains, les nazis, exterminèrent ("le feu purifie") ceux qu'ils disaient impurs et néfastes pour l'humanité entière. Appropriation maîtrisée par l'imaginaire d'un élément à l'origine négatif pour soi?
 On remarque surtout que cette  eschatologie est plus désespérée que le désespoir. Aucune autre ne mit en scène une périssabilité des dieux doublés d'un anéantissement affreux du Tout.
 De par l'exclusivité d'une logique antithétique, l'imaginaire des anciens Germains, privé de repos et trouvant son unique et grinçant ressourcement dans la lutte jusqu'au trépas, sécréta une issue pathologique consécutive d'un fonctionnement instable, mal régulé, ce dysfonctionnement structural étant peut-être d'ailleurs, par delà un façonnement global de la mentalité occidentale depuis le Moyen-Age, à l'origine du retour violent et dément de la logique mentale des Germains sur la scène du réel avec l'idéologie nazie et ses abominations agies: le suicide, l'autodestruction.
 Cette issue malade, une impasse en fait, car coupée de la nuance intimiste et de la possibilité totalisatrice des extrêmes sur le plan de l'imaginaire , se retrouve dans la stratégie militaire des nazis. 
 Sentant que l'issue de la Seconde Guerre Mondiale tournerait à l'avantage des forces alliées, l'Axe, sous le commandement d'Hitler, prit l'option suicidaire de combattre jusqu'au dernier des soldats allemands, en une débâcle qui amena le suicide du Führer lui-même dans un bunker, le 30 avril 1945. 
 
 La mentalité de l'Occident en cette fin de siècle: l'argent fou, l'exclusion raciale, sociale, scientifique. De l'antithèse armée à l'antithèse économique.
 Les derniers avatars en date de la mentalité occidentale dans ce qu'elle a hérité de germanique, c'est-à-dire d'extrémiste, de séparateur, se manifestent puissamment dans la façon dont fonctionnent, aux prémices de troisième millénaire, nos sociétés. 
 Ce fonctionnement (et la mentalité antithétique correspondante) est caractérisé par une distinction entre une valeur "pure", l'argent, et des valeurs "impures", les étrangers, les pauvres et autres exclus.
 Tout comme chez les anciens Germains les jeunes héros combattants montaient au paradis tandis que les lâches chutaient en enfer, les "jeunes cadres dynamiques", victorieux dans la bataille économique mondiale, sont érigés en parangons sociaux.
 Tout comme l'ancien Germain suivait seul son Destin, avec pour mission de l'accomplir sans se dérober et même de tuer qui l'empêcherait, l'Européen type, idéal, se doit de trouver et de se frayer sa route avec un minimum de relations possible avec autrui: cela est nommé "individualisme".
 Quant aux nouveaux lâches, ce sont ceux qui ont failli dans la compétition sociale; ils sont condamnés aux tourments de l'enfer social: chômage, clochardisation. Ce sont d'ailleurs les clochards que les délinquants juvéniles au crâne rasé, idéologiquement "néo-nazis", recherchent activement pour les battre et quelquefois les tuer, se posant en nouveaux héros guerriers. De plus, dans l'ancienne Germanie, n'avait-on pas le droit de tuer les proscrits?
 "Mort aux vaincus. Marche ou crève". Voilà la nouvelle loi d'un socius qui n'admet nulle faiblesse, nul repos, nulle limite, tout comme dans la représentation du monde des Germains.
 Dans ces conceptions mythiques, en raison d' une antithèse prégnante, l'univers était divisé en neuf mondes possédant chacun des intérêts propres et évoluant soit en ne se souciant pas du devenir et des desseins des autres mondes, soit en entrant en rivalité avec eux pour les dominer ou les voler.
 Cette gestion des rapports à autrui et au monde a subsisté telle quelle: notre société se "clanise" en groupes qui possèdent des intérêts spécifiques et intègrent leurs membres constituants non pas par "voie de concours général" ou autre procédé démocratique mais par cooptation, "piston", recommandation. On évalue actuellement à 50, quelle que soit la "branche" concernée, le pourcentage d'emplois trouvés par ce biais maffieux...
 Le mouvement de l'imaginaire antithétique actuel, identique à celui des anciens Germains, est un mouvement de séparation exclusive entre non pas de l'élevé et du bas, non pas du lumineux et de l'obscur, mais entre du pur et de l'impur.
 Pour les modernes Germains que nous sommes, être pur c'est posséder de l'argent, et donc, signes extérieurs de richesse obligent, une maison (en tant que propriétaire bien sûr) et une voiture à grosse cylindrée. Ce dernier objet fait partie de l'armement défensif, et offensif sans une certaine mesure, du Siegfried moderne. 
 Tout comme le cheval à huit pattes du dieu Odin et le char de Thor tiré par des chèvres magiques, l'automobile permet d'aller combattre, c'est-à-dire de travailler "pour-faire-gagner-l'entreprise-dans-la-guerre-économique-mondiale", plus vite. Les grands mouvements faits à grande vitesse dans l'espace sont l'indice d'une fièvre conquérante.
 Même sur le plan militaire, ne sont-ce aujourd'hui les guerres à stratégie dite de mouvement qui prévalent?
 Sur le plan économique, les entreprises qui sont à la pointe technologique d'un secteur précis raillent celles qui sont à la traîne.
 Au niveau des professions, tout comme il était préférable d'être un soldat qu'un cultivateur chez les anciens Germains, bien que la survie de leurs sociétés réclamât le rôle social de l'un comme de l'autre, il est de nos jours préférable d'être ingénieur, informaticien ou autre combattant héroïque dans la guerre économique mondiale, où l'on ne conquiert plus les états possédant des frontières mais des marchés commerciaux, qu'artiste, que "littéraire", que psychologue, que travailleur social, qu'enseignant.
 Les créateurs sont exclus de la guerre économique et de ses idéaux, sauf lorsque leur travail est dit "appliqué", à l'opposition de "fondamental", et donc immédiatement exploitable d'un point de vue technologico-utilitaire et présente de fait une valeur marchande.
 Quant aux personnes qui soignent, qui "réparent" les individus, elles sont du côté des exclus, c'est-à-dire des ratés, de ceux que le socius, en son fonctionnement d'exclusion, a choisi de déposer en chemin et de désigner comme étant les Impurs. 
 Les forts non nul besoin d'assistance. Dans cette logique, en effet, pourquoi soigner un malade mental, puisqu'il est incurable, improductif et donc inutile, à la charge de la collectivité: déshonneur suprême?
 De même pour les pensionnaires pour hospices à vieillards, ou mouroirs. Pourquoi se soucier de la solitude et des conditions matérielles difficiles de personnes qui ne produisent plus?
 De même pour les chômeurs. Chez les anciens Germains, l'équivalent de la peine de mort était le bannissement, l'exclusion de la communauté humaine. Aujourd'hui, le déshonneur suprême est d'être banni de la logique de productivité, du monde du travail: d'être demandeur d'emploi. Sur les chômeurs sont projetées toutes sortes de vindictes, qui se résument à une accusation de faiblesse: "ce sont des fainéants"; ils ne sacrifient pas leur existence sur l'autel de l'Action Rentable.
 Notre époque n'est pas contemplatrice. La seule passivité admise est celle du spectateur télévisé qui consomme messages idéologiques, prêts-à-penser et stimulis publicitaires visant à produire des réflexes consuméristes.
 Quant à la spiritualité, c'est dans le temple de la Bourse que l'on prie maintenant, depuis que le christianisme, séparé en 1905 des affaires de l'État, n'est plus un bon "business" ni un moyen crédible de conditionnement des mentalités. De nouveaux dieux, par auto-proclamation, promettent les solutions miracles destinées à arracher notre système à l'enlisement matériel dans lequel il sombre peu à peu.
 Si notre socius était moins antithétique, il trouverait peut-être les moyens de prendre conscience que ce sont les mentalités qui nécessitent les soins les plus urgents, le reste étant automatiquement voué à suivre.
 Le déplacement de la guerre des armes à la guerre de l'argent est une nouvelle ruse de la manifestation de l'antithèse forcenée qui fonde et ronge notre imaginaire occidental.
 C'est aussi au nom de cette logique que des millions de travailleurs immigrés, attirés il y a un quart de siècle pour pallier à une carence démographique d'individus actifs, sont depuis la crise économique consécutive au premier choc pétrolier "remerciés", considérés comme en trop, comme "mangeant le pain des français". Pourquoi leur intégration, aujourd'hui vitale pour eux comme pour notre démographie (le faible accroissement de la population occidentale, en raison d' une chute de la natalité, étant un autre signe de l'antithétisme de notre mentalité, qui préfère la compétition sociale agressive au souci et plaisir de procréer une descendance), est-elle si difficile? 
 Tout simplement en raison de la logique qui règle notre imaginaire: clivage entre le Pur et l'Impur, entre le "bon Français" (qui fait "un vote utile"...) et le basané, le métèque.
 Même schéma concernant, à l'extérieur de nos frontières, les bons peuples et les mauvais peuples, quoique se greffe une logique marchande sur cette discrimination: les bons peuples sont ceux qui ne remettent pas en cause notre stratégie internationale de vampirisme des ressources des pays dits du tiers monde ou en voie de développement; les mauvais peuples, appelant une croisade purificatrice menée par nos chevaliers modernes, comme en 1991 dans le Golfe Persique, dérogent par leur non alignement sur nos desseins le racket planétaire auquel notre inextinguible volonté de puissance nous mène: l'Égypte de Nasser, l'Iran de Khomeiny, l'Irak de S. Hussein.
 Nous les châtions au nom d'un prétendu "ordre" ou "droit international", de la même sorte que celui qui avait procédé au dépeçage de l'Afrique noire par les colons et de l'empire ottoman par les Anglais.
 Logique marchande de l'humain. Technocratisation, quantification de l'humain: logiques de mort. Santé et éducation n'échappent pas à la règle. 
 
DIET (Emmanuel), "Pygmalion technocrate", in Connexions, n°56, 1990.

 
 Emmanuel Diet a montré que l'évaluation, en tant que figure technocratique du pédagogique dans le social-historique du capitalisme spéculatif, a repris le fantasme tout-puissant de la pédagogie dans les modalités clivées que la crise anthropologique contemporaine impose.
CARRER (Philippe), "La submersion d'Is: un mythe dangereux", in Rencontres de cultures en     pathologie mentale en Bretagne, pp. 23-40, Rennes, 1983.

 
 L'écrasement de la mentalité celtique et de son matriarcat mental, d'abord par les Romains, les Chrétiens puis par l'Occident en général jusqu'à notre siècle, semble avoir provoqué un "retour du refoulé" de la logique celte, qui éclate dans la récente promotion, en Bretagne, de la légende de la ville d'Ys, qui du mythe fondateur de la civilisation celtique, en tant que promouvant des échanges équilibrateurs entre le monde des vivants et le monde hyperféminisé de l'Autre Monde, est devenu une tentation terrifiante pour la psyché des Celtes modernes: les Bretons; ce qui est confirmé ethnopsychiatriquement.
 Cette dérive désastreuse et ses conséquences ont été mises en évidence par le Dr Carrer.
 
 Historiquement déjà, on peut noter que les femmes bretonnes étaient restées très attachées aux rites mortuaires païens et que cette fidélité les mettait en conflit avec le christianisme.
 De même que les Celtes sont refoulés de ce monde-ci et presque anéantis, de même, se trouve enfoui dans l'inconscient de chaque individu ce domaine caché sous la surface de l'eau, la ville d'Ys. Un jour se produira le retour du refoulé. Ce qui est englouti dans les abîmes de la mémoire doit redevenir un jour conscient, ce qui est refoulé, ou vaincu, doit se manifester et l'emporter: il n'y a pas de mort, autre qu'un changement d'état (Ibid.).
 Terrible retour d'une logique celtique défigurée par la logique occidentale héritée des Germains, et qui, au lieu de proposer une voie d'adoucissement pour les cadres d'antithèse et d'exclusion qui pathologisent aujourd'hui notre socius et nos mentalités, s'identifie à sa logique destructrice et nous agresse avec toute la puissance retenue créée par le décalage prodigieux entre son matriarcat psychologique et notre patriarcat paranoïaque décliné sur le mode orwellien d'un "Big Brother is watching you".
 Telle la mer qui avala la cité d'Ys lorsque cette légende et son cadre de pensée furent christianisés, et par là même occultés, brimés, combattus, l'imaginaire celtique reparaît, blessé, violenté, avec le visage monstrueux de l'antithèse destructrice. 
 Déjà, dans le domaine de la santé mentale, le suicide (dont la Bretagne possède d'ailleurs le triste record hexagonal), l'alcool (même réalité épidémiologique) et la drogue montent à l'assaut des remparts de nos sociétés et menacent d'engloutir la ville et ses enfants, aliénantes clameurs montant d'un fonds ancestral de synthèse et d'harmonie, celui des Celtes, et que pulvérisa la violence séparatrice de la Weltanschhung des Germains.
 De ce traumatisme culturel naquit notre monde, l'Occident, dont en définitive la logique d'opposition, de clivage et d'exclusion semble vouée à être périodiquement remise en question, sur un mode désastreux, soit par l'aspect négatif et irrationnel de sa propre polarité (tel le nazisme), soit par la logique euphémisante qu'elle a combattu et diabolisé pour asseoir son propre diktat culturel (tels le suicide, la toxicomanie, l'alcoolisme), mais rejaillissant en portant, hideuse mutation, la violence même qui la brisa, et non plus sa conciliation fondatrice, laquelle ne s'annonce décidément pas comme étant à l'ordre du jour en Occident.
 Notre imaginaire, d'essence germano-chrétienne, harponna la paisible et douce baleine de la pensée celtique, qui avait émergé d'abysses de douceur pour lui offrir son message d'intimité conciliante.
 Blessée, après s'être traînée pendant des siècles sur les fonds archaïques de son habitat marin, elle refait aujourd'hui surface pour, tel Moby Dick, châtier son agresseur.
 Saurons-nous apprivoiser cet être innocent dont nos aïeux firent un monstre malade? 
  
 
Illustrations récapitulatives :
Les "Mandalas" des imaginaires celtiques et germaniques (prochainement disponibles...)

BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE

 

GERMAINS

 BOYER (Régis), LOT-FACK (Evelyne), Les religions de l'Europe du Nord, 
  Fayard et Denoël, Paris, 1974, 756p.

 DUMÉZIL (Georges), Les dieux des Germains, 
  P.U.F., Paris, 1959, 210p.

 EHRAR (A.), La légende des Nibelungen, 
  H. Piazza, Alfortville,  1974, 166p.

 HUBERT (Henri), Les Germains, 
  Albin Michel, 1952, 338p.

 RIES (Julien), ? religieuse indo-européenne et religion des Germains et des Scandinaves, 
  Louvain-La-Neuve (Belgique), 1980, 160p.

CELTES

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  Presses d'aujourd'hui, Paris, 1980, 226p.

 DUVAL (Paul-Marie), Les dieux de la Gaule, 
  Payot, Paris, 1976, 178p.

 Les Mabinogion. Contes bardiques gallois, 
  Presses d'aujourd'hui, Paris, 1979, 292p.

 MARKALE (Jean), Le druidisme, 
  Payot, Paris, 1985, 286p.

 SHARKEY (John), Mystères celtes, 
  Seuil, Paris, 1975, 98p.